lundi 18 mai 2009

L'histoire derrière l'histoire

J'ai la chance de travailler avec de bonnes directrices littéraires (je mets le mot au féminin car elles sont toutes des femmes, à l'exception d'un... l'incontournable et l'inénarrable Yvon Brochu, pour ne pas le nommer.) Mes directrices littéraires sont respectueuses, rigoureuses et exigeantes.

J'admire la patience, l'humilité et la diplomatie de ces “éminences grises” de l'édition, qui travaillent dans l'ombre, loin des feux de la rampe. Agissant à la fois comme conseillères, critiques et coach, elles se penchent pendant des heures sur la prose d'un auteur, travaillant à l'amener un peu plus haut, un peu plus loin. Pourtant, elles n'auront jamais le crédit pour avoir contribué à transformer un livre médiocre en un livre acceptable, un roman faible en un roman fort.

Je fréquente assidûment le blogue d'une directrice littéraire américaine, qui travaille chez Scholastic. Contrairement à la plupart de ses collègues, Cheryl Klein s'est retrouvée (un peu malgré elle) devant les feux des projecteurs il y a quelques années, pour son travail d'éditrice sur les manuscrits de l'édition américaine de Harry Potter.

Elle a récemment décrit sur son blogue le travail d'accompagnement qu'elle a fait sur le premier roman d'un certain Francisco X. Stork. Pour ceux qui s'intéressent à l'écriture, à l'édition, au processus complexe et délicat de la maturation et publication d'un livre, son témoignage candide, instructif et émouvant vaut le détour. Je résume en français pour vous, mais pour lire le texte intégral en anglais, c'est ici.

Cheryl Klein commence d'abord par décrire ses émotions après la première lecture du manuscrit, un roman pour ados dont le personnage principal, Marcelo, souffre d'autisme. À la fois émue, impressionnée et stimulée par le manuscrit, l'éditrice sent que cette histoire lui a permis d'élargir sa vision du monde.

Elle nous entraîne ensuite à l'arrière-scène, avec une description détaillée du processus d'édition. Elle a demandé à l'auteur de lui écrire une lettre afin de lui expliquer les thèmes de son roman. Francisco Stork lui a donc envoyé une lettre de trois pages, où il explique ses intentions, le cheminement psychologique et spirituel de son personnage, l'essence de son histoire, etc. Cette lettre est devenue la boussole dont ils se sont servie tout au long de la longue traversée des révisions.

Ensemble, ils ont pétri, refaçonné l'intrigue principale et les trois sous-intrigues du roman. L'éditrice a rédigé un plan détaillé et illustré de l'intrigue (ce qu'elle appelle ses “bookmaps”), un outil visuel permettant d'analyser minutieusement le rythme du roman, la logique de l'intrigue, l'évolution des personnages, etc. Après avoir travaillé en long et en large sur la structure de l'histoire, l'éditrice et l'auteur se sont attaqués à la langue, au style, ce que les anglophones appellent le “line-editing”, les corrections phrase par phrase.

Dans le cadre de ce processus, étalé sur plusieurs mois, Stork estime qu'il a ré-écrit environ la moitié du livre. Tout ce travail a porté fruit, car le roman a déjà reçu de nombreuses critiques élogieuses et semble s'enligner sur la voie des best-sellers.

Pour certains auteurs, ce processus de révisions semblera long, ardu, minutieux à outrance, du coupage de cheveux en quatre. Moi, au contraire, ça m'emballe d'y prendre part (comme auteure) et ça me stimule de lire comment d'autres le font. J'adore voir ce qui s'est passé derrière le rideau, comment on a “sculpté” un manuscrit, l'amenant du point A au point B. Comme auteure, je retire inmanquablement quelque chose d'utile à lire “l'histoire derrière l'histoire”.

En plus, ça me rassure et m'enchante de voir la passion et l'engagement des gens du monde de l'édition. Ça me ravit et me stimule de voir une directrice littéraire mettre avec autant de fougue son énergie créatrice au service d'un livre. Ça me réconcilie (un peu) avec certains aspects crève-coeur de la publication.

7 commentaires:

  1. Ça doit être comme dans toute chose: il y en a des correctes, des géniales, des procrastinatrices, des débutantes, des perfectionnistes, des amicales, des collaboratrices, des encourageantes. Je ne dois pas encore avoir trouvé la mienne!!! Il y a aussi (peut-être) celles qui ne veulent pas de moi et ne savent pas comment me le dire. Non, non, ne m'écoute pas, je digère encore le dernier refus. Mais tu m'aides à regarder de l'autre côté de la lorgnette.

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  2. J'ai bcp apprécié que vous mettiez en valeur les directrices littéraires. Je connais quelques directeurs littéraires... Il y a aussi les attachées de presse qui méritent notre considération, elles jouent un rôle ingrat et doivent satisfaire tout un chacun. C'est Bernard Pivot qui disait qu'elles étaient des saintes. Suis bien d'accord avec lui.

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  3. Andrée, avec des auteures comme toi, le travail de directrice de collection est facile, enrichissant, stimulant, valorisant, etc. Voilà.

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  4. Claude,
    Oui, des directrices littéraires, il y a en a de toutes les sortes... et aucune ne sont parfaites. Tandis que nous les voudrions peut-être plus ceci ou plus cela, elles , de leur côté, rêvent sans doute de travailler avec l'auteur le plus modeste, le plus doué, le plus accomodant et le plus POPULAIRE qui soit...

    Dominique,
    Oh! que oui! les attachées de presse... pour avoir été critique littéraire pendant 15 ans au quotidien leDroit, j'ai vu à quel point ce métier pouvait être difficile et ingrat. Elles ont toute mon admiration et ma sympathie...

    Andrée-Anne,
    T'es trop fine. Je rougis... Mais le compliment ne compte pas parce que tu es mon amie...
    Andrée

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  5. En ce qui me concerne, il faut que se construise une belle complicité entre ma dirlitt-réviseure et moi (eh oui, au féminin, vu que je n'ai encore rien écrit pour mon bon ami Yvon). J'ai besoin d'être sécurisé, voire materné (désolé, Yvon). Si j'ai confiance en elle, ses propositions-suggestions-corrections m'en paraîtront d'autant plus pertinentes et je plongerai tête baissée dans le travail.

    C'est une relation très intime qu'on développe avec sa dirlitt-réviseure (forcément, dans un texte, on se met à nu) et cette relation se renforcera à mesure des titres qu'on travaillera ensemble.

    Andrée, ce serait passionnant de développer là-dessus. Pourquoi pas un article sur le sujet un de ces jours, hm (dans le Lurelu, par exemple)?

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  6. Camille,
    C'est déjà fait!!! J'ai publié un ÉNORME dossier sur la direction littéraire (une douzaine d'entrevues...) dans le volume 27 numéro 1 - printemps-été 2004. Ça traite des qualités d'un directeur littéraire, des différentes approches, de la façon d'offrir la critique, de la chimie entre l'auteur et la dirlit, de ce que les directeurs littéraires recherchent chez un auteur, de la rigueur en direction littéraire, etc, etc.
    Si tu n'as plus ce numéro, je peux t'envoyer une copie de mon texte en format Word...
    Andrée

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  7. Andrée, oui, ça m'intéresserait. Je ne garde guère mes vieilles revues que je disperse au gré de mes déménagements. En échange, je te paierai le café un de ces quatre. Équitable, bien sûr. Quand on se verra. Ce qui n'est pas fréquent. Je sais.

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