lundi 3 août 2009

Le ridicule est question de perception

Le ridicule ne tue pas. Je me tue à le dire à mes filles. En vain.

À plusieurs moments, durant notre périple de 33 jours en Chine, ma progéniture m’a trouvée ridicule. Devant certains de mes gestes un peu…fantaisistes, mes filles ont protesté. Parfois faiblement, parfois plus vigoureusement. Comme si elles avaient peur que le ridicule dont je me couvrais (à leurs yeux…) les éclabousse. Ou que mes élans «ridicules» soient contagieux.

Leurs protestations ne m’ont pas arrêtée, ni même ralentie. Je n’ai plus assez de vanité pour m’angoisser de ce que les autres penseront de mes pitreries (qui étaient somme toute, bien sages…). À mon âge, avec la vie qui s’écoule si vite, avec tout ce que je n’ai pas encore goûté ou tenté, je n’allais certainement pas commencer à m’auto-censurer, surtout pour des comportements plutôt anodins et certainement inoffensifs qui ne faisaient de mal à personne, sauf à l’orgueil de mes filles.

Par exemple, ça les gênait que je fasse des guilis-guilis en simili mandarin aux bébés pimpants que je croisais dans la rue.


J’aurais dû leur citer Alain : « Qui n'a jamais été ridicule ne sait point rire.

Un jour, au resto, on avait comme voisins de table une famille chinoise, dont le gamin d’environ cinq ans s’emmerdait pendant que ses parents s’éternisaient sur leurs assiettes vides en fumant une enième cigarette…

Tiens, que je me suis dit, je m’en vais te le désennuyer ce jeunot. Mais ce n’est pas avec mes cinq mots de mandarin que j’allais pouvoir lui raconter une histoire trépidante de mon cru. J’ai donc eu recours au bon vieux langage universel: celui des mains.

Et je me suis lancée dans ma comptine préférée, celle que l’on mime avec les menottes: « Roule, roule, roule, pique, pique, pique, tape, tape, tape, hourrah! »


Mes filles se cachaient le visage derrière leurs baguettes pour éviter de me voir ou/et pour éviter d’être vues.
Le petit Chinois, lui, en redemandait.

Près de Nanchang, nous sommes allés visiter l’un des trois villages anciens de Anyi, vieux de 1000 ans. On y a préservé des maisons dont l’architecture remonte aux dynasties Ming et Qing.

Durant la visite, notre guide nous entraîne vers cet arbre magnifique et nous raconte que selon la tradition locale, si l’on tourne trois fois autour de l’arbre en faisant un vœu, notre souhait se réalisera.


Je m’empresse aussitôt de poser mon sac à dos pour tourner trois fois autour de l’arbre.

- Maman, s’exclame ma fille cadette, de ce ton qu’elle prend quand elle me trouve ridicule. Un ton frustré. Affligé. Mortifié. Un ton qui veut dire: tu vas encore faire une folle de toi...


Mais le ridicule est question de perception. Ce qui semble risible ou loufoque pour l’un peut s’avérer normal ou banal pour l’autre. Il y a eu un moment durant le voyage où j’ai été indubitablement et incontestablement ridicule. C’est le jour où je me suis mise à chigner de trouille devant un pont suspendu (j’y reviendrai dans un prochain billet). Terrifiée par cette crevasse, par ce vide cauchemardesque, je n’arrêtais pas de gémir: « Pas capable. Pas capable. Pas capable…»


Loin de me trouver ridicules, mes filles se sont transformées en deux modèles de sollicitude et de patience. Elles m'ont entourée pour m’aider à traverser (littéralement) l’épreuve. De l’autre côté du pont, la terre ferme sous mes pieds, mon moment de faiblesse m’a semblé franchement ridicule.

Toutes les photos sont de mon conjoint, Neale MacMillan.

7 commentaires:

  1. Ça doit être l'âge. Plus vieilles, je suis certaine qu'elles diront à leurs ami(e)s: "J'ai eu une maman formidable, comique, expressive". Moi aussi j'aurai fait le tour de l'arbre, d'ailleurs on dirait qu'il y a un genre de trottoir exprès. Et à 20 ans, je n'aurais pas hésité devant le pont, mais aujourd'hui, probablement.

    RépondreEffacer
  2. Anonyme09 h 34

    Je pense que tes filles cachent simplement l'amour qu'elles ont pour toi. C'est l'âge... Et tu es peut-être ridicule mais tu t'amuses (peut-être moins devant le pont...).
    M.

    RépondreEffacer
  3. Bonjour Andrée,
    tes filles ont l'insouciance et l'inconscience de leur jeunesse. Traverser un pont suspendu quand on est adulte est vécu avec plus d'appréhension et de lucidité. Ton soi-disant ridicule est une forme de détachement vis-àvis du regard des autres, ce que tes filles ne comprennent pas encore. Ça viendra avec leur maturité.

    Bon début de semaine

    RépondreEffacer
  4. Chère ClaudeL:
    J'ai fais le tour de l'arbre et mon voeu a été exaucé...mon manuscrit en attente a été accepté!! Ne reste plus qu'à le réviser maintenenant..

    Chère M.
    Mais veux-tu bien me dire pourquoi mes filles doivent me CACHER leur amour? Me semble qu'elles devraient plutôt le clâmer haut et fort...

    Chère Dominique,
    Bien d'accord avec toi sur " l'inconscience " de la jeunesse, mais en même temps, et c'est là le paradoxe, elles sont très conscientes de leur image...
    Andrée

    RépondreEffacer
  5. Ah, bien... tu aurais dû faire le tour de l'arbre pour moi aussi!!! Un peu loin pour aller le faire. Virtuellement, sur la photo, est-ce que ça vaut?

    RépondreEffacer
  6. Claude,
    Tu peux toujours essayer de faire le tour de l'arbre virtuellement en faisant ton voeu, mais si c'est pour ton manuscrit, je te suggère plutôt l'approche du bon vieux Boileau: vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage... je crois que tu auras plus de succès de cette façon. Bonne chance!
    Andrée

    RépondreEffacer
  7. Anonyme07 h 39

    Chère Andrée,

    tes filles sont conscientes de leur image bien sûr, mais pas du danger parce qu'à cet âge on est immortel...

    Bravo pour l'acceptation de ton manuscrit. Maintenant, il faut peaufiner. Que l'arbre soit immortel lui aussi !

    Bon mardi chaud, chaud...

    Dominique

    RépondreEffacer