lundi 10 août 2009

La Muraille et le Roman: même combat



Faire une randonnée sur la Grande Muraille « sauvage » de Chine, c’est exactement comme écrire un roman. Même extases, mêmes souffrances. Mêmes doutes, mêmes agonies. Même combat.

LE DÉBUT DE L'AVENTURE

Le Roman :
Quand on commence un roman, on est emballé par l’idée, l’embryon d’intrigue, l’univers esquissé. L’histoire s’agite devant nous, aguichante, à peine explorée, toute entière à développer. On est titillé par les possibilités et animé de la passion galvanisante des débuts…

La Muraille :
Quand on commence une randonnée sur la grande Muraille de Chine, on est confronté à des paysages d’une beauté à couper le souffle: un majestueux mur de pierres qui serpente les flans de montagnes abruptes. Jalonnée par les tours de guets et de nombreuses portes, la Muraille s’élance à perte de vue. Ce qui fait s’écrier ma fille cadette : « Oh my God! Ça ne finit jamais! » Moi, ça me donne envie d’être peintre.

Symbole de la civilisation chinoise, la Grande Muraille ondule sur
6 700 km d'ouest en est, soit près d'un sixième de la circonférence de la terre. Nous, on a eu l’audace de faire la Muraille « sauvage» (Wild Great Wall), c’est-à-dire une randonnée de 11 km entre les villages de Jinshanling et de Simatai. L’endroit se trouve à deux heures de route de Beijing.



Au début de la randonnée, on marchait d’un bon pas sur les vieilles pierres, aussi enthousiastes qu’admiratifs, aussi énergiques qu’émerveillés.


LE MILIEU DE L'AVENTURE
Le Roman :
Quand on arrive au milieu de la rédaction d’un roman, l’enthousiasme a perdu de son intensité, le doute s’installe, on ne sait pas si ce sera simplement bon ou carrément médiocre. On se demande si on aura le courage d’aller jusqu’au bout, on a envie d’abandonner. On n’a plus de plaisir à écrire. C’est le test ultime de l’endurance et de la persévérance. On sait qu’il faut se pousser au-delà de ses limites, mais on ne sait pas au juste où se trouvent nos limites. On se demande d’où venait l’idée loufoque d’écrire un roman.


La Muraille :
La randonnée entre Jinshanling et de Simatai est une randonnée difficile (ce n’est pas moi qui le dit mais le "Lonely Planet") en temps normal alors imaginez le « défi » (et c’est un euphémisme…) par une journée où la chaleur grimpe à 36 C!!! Le soleil tape tellement dur que mon t-shirt et ma casquette sont trempés de transpiration. J’ai un coup de soleil sur les bras et ça commence déjà à brûler. Je sors ma bouteille d’eau à toutes les dix minutes, mais l’eau tiède ne me désaltère pas. J’ai le souffle court, je trouve ce parcours épuisant. Je me demande quand ça va finir et si j’aurai la force de le finir.



Vers la moitié de notre randonnée, on arrive dans la section Simatai de la Grande Muraille. L'entrée de la passe est abrupte et à cet endroit, la Muraille s'élargit ou se rétrécit selon la crête rocheuse en lame de rasoir. Cette partie de la Muraille n’a pas été restaurée, depuis sa construction, il y a 500 ans. À certains endroits, le mur est détérioré et les pierres sont brisées ou branlantes. Il faut donc se tenir à deux mains pour avancer. Pour la sécurité, on repassera.



Sur ce tronçon du Mur, on trouve l’habituelle voie large pour chevaux, mais aussi les escaliers « échelle céleste » le long des crêtes. Moi qui ai peur des hauteurs, j’avance parfois presque à quatre pattes en évitant de regarder en bas ou derrière moi. Je ne m’amuse plus du tout. Je ne m’extasie plus une miette devant ce paysage mirifique.



Je me demande qui a eu l’idée loufoque de faire cette randonnée sur la Muraille « sauvage ».


LA FIN DE L'AVENTURE

Le Roman :
Il a fallu 2000 ans pour construire la Muraille. Arrivé dans le sprint final de la rédaction d’un roman, on a l’impression que ça fait 2000 ans qu’on y travaille et qu’il est encore loin d’être prêt et qu’il ne sera jamais prêt et qu’on n’a pas une seule once de talent. On est prêt à jeter le roman dans la cheminée. On déteste la littérature et on veut se faire plombier.

On n’a qu’un désir, un seul désir, un brûlant désir : en FINIR! On n’a qu’une pensée, une seule, qui revient comme un leitmotiv : « Plus jamais on ne m’y reprendra. »

La Muraille :
À la quatrième heure de marche, je n’en peux plus de cette foute Muraille. Je veux qu’un hélicoptère vienne me chercher. J’ai mal à mes vieux genoux, mal aux épaules (à cause du sac à dos), mal à mes bras brûlés. J’ai refusé de manger le sandwich au poulet que je traine depuis trois heures dans mon sac à dos et qui a été réduit en bouillie sous le poids de nos bouteilles d’eau. La seule vue de la mayonnaise me donne mal au cœur. J’ai l’estomac vide et les jambes qui tremblotent.



En plus, il y a ce foutu pont suspendu qui m’attend avant l’arrivée à la porte finale, je le vois de loin. Selon le « Lonely Planet », cette randonnée n’était pas recommandée pour ceux qui ont le vertige ou peur des hauteurs… J’aurais dû rester dans ma chambre d’hôtel… Pas pour me justifier, mais ce fameux pont suspendu au dessus d’un haut précipice, se balançait quand on marchait dessus, horreur suprême!!! Pas pour les moumounes, je vous assure. Au moment de traverser ce foutu pont, j’ai eu un moment de faiblesse et je me suis rendue ridicule, mais après moult palpitations, j’ai fini par me retrouver de l’autre côté.



Je n’ai qu’un désir, un seul désir, un brûlant désir : en FINIR! Je n’ai qu’une pensée, une seule, qui revient comme un leitmotiv : « Plus jamais on ne m’y reprendra. »

Onze kilomètres et quatre heures et demie plus tard, on arrivait enfin à la fin du parcours, là où nous attendait notre chauffeur. Alléluia.



Mao Zedong a dit: Celui qui n'a pas gravi la Grande Muraille n'est pas véritablement un homme. Je l’ai amplement prouvé ce jour là : je suis véritablement un « homme ».

LE LENDEMAIN DE L'AVENTURE:

Le Roman :
On se dit : quelle expérience fabuleuse je viens de vivre. Je suis prête à recommencer.
La Muraille :
On se dit : quelle expérience fabuleuse je viens de vivre. Je suis prête à recommencer.



Toutes les photos sont de mon conjoint Neale MacMillan.

Pour avoir une meilleure idée en images, de notre randonnée sur la Muraille "sauvage" entre Jianshianling et Simatai, voir le parcours "pas à pas" photographié par l'Américain David Turner.

5 commentaires:

  1. Anonyme15 h 11

    Bonjour Andrée,
    maintenant avec le recul, tu dois être fière de toi. Je vais dire que tu es vraiment une... femme!
    Merci pour la description de ton expérience, elle fait sourire et étonne agréablement.
    Dominique

    RépondreEffacer
  2. Et nous qui ne ferons probablement jamais ce périple, est-ce à dire que le roman ne sera pas?
    Très belle analogie!

    RépondreEffacer
  3. J'ai tout relu tranquillement. Ma petite randonnée dans le sentier national à Duhamel et le mini-mini pont de bois, solide comme tout: une pinotte à comparer.

    RépondreEffacer
  4. Dominique,
    Ah! J'espérais bien que quelqu'un me reprenne sur l'expression de Mao... et son usage sexiste de la langue. Mais bon, on va lui donner le bénéfice du doute et se dire que peut-être qu'en mandarin, le mot utilisé était asexué: individu, personne, espèce humaine...

    Claude,
    Vous m'avez fait rire avec votre "pinotte". N'empêche, ça me donne envie de le voir ce "mini-mini pont de bois, solide comme tout". Rien qu'à lire cette expression, j'ai déjà une belle image en tête.

    On a chacun notre "Muraille" et elle n'a pas besoin d'être en Chine pour nous pousser vers le dépassement ou nous amener à terminer un roman... Bon courage avec le vôtre.
    Andrée

    RépondreEffacer
  5. Anonyme08 h 35

    Bonjour Andrée,

    Au temps de Mao, la féminisation des mots n'existait pas, alors, oui, accordons-lui doublement le bénéfice du doute. D'autant que grâce à lui, chaque Chinois a eu droit à son bol de riz... TOUS les jeunes révolutionaires sont remplis de bonnes intentions, c'est APRÈS que le pouvoir leur fait perdre la tête. Au détriment du peuple...

    Dominique

    RépondreEffacer