dimanche 8 novembre 2009

J’ai pleuré en lisant ce roman mais j’ai oublié de quoi il parlait...



J’ai reçu cette semaine un courriel d’un éditeur scolaire, qui demandait mon accord pour reproduire une de mes critiques littéraires dans un manuel destiné à des étudiants du secondaire. Publié dans Le Droit en 1994, le texte s’intitulait Lettre ouverte à Réjean Ducharme.

Ce titre ne me disait rien. Je ne me souvenais pas – mais vraiment pas – d’avoir écrit à Réjean Ducharme. Heureusement, l’éditeur avait pensé à m’envoyer copie du texte en question, car moi je n’ai presque rien gardé des centaines de critiques littéraires que j’ai écrites pour Le Droit en douze ans de «chroniqueries ».
J’ai donc relu ma lettre au père de L’avalée des avalées.

Et je me suis souvenue que j’avais pleuré en lisant Va savoir.

Je me souviens d’avoir été fortement émue par la force des images, par l’intensité des émotions.
Mais ce qui est le plus étrange (et un peu honteux, avouons-le), c’est que je me souviens à peine du roman, de l’histoire, des personnages.
Je ne comprends pas ma mémoire et je lui en veux à cette étrange bête de m’avoir laissé oublier les détails de ce roman qui, quinze ans plus tôt, m’a fait interpeller Réjean Ducharme avec autant de ferveur.

Et vous, votre mémoire, elle vous trahit aussi bassement que ça?


Lettre ouverte à Réjean Ducharme
Le Droit
Arts et spectacles, samedi, 12 novembre 1994, p. A6


Salut Réjean Ducharme,
Je t’écris comme on jette une bouteille à la mer. Sans savoir où, ni quand elle échouera. Dans le ventre d’un béluga, sur un tas d’algues pourries, dans un mois, dans dix ans? Va savoir…

Justement, je t’écris à cause de ton Va savoir. Les médias en parleront sans doute beaucoup ces jours-ci. Surtout si tu rafles le Renaudot, le Médicis, le Prix du gouverneur général ou le Grand Prix du livre de Montréal, tous annoncés prochainement. Des prix littéraires, tu en as déjà toute une moisson. Ce n’est sûrement pas quatre de plus qui te feront sortir de ta cachette.

Comme on ne se rencontrera jamais, je m’offre le luxe d’une lettre ouverte. Et le luxe aussi de te tutoyer. D’ailleurs, il me semble voir ta réaction si j’écrivais «vous»: le sourcil relevé, politiquement perplexe, l’air de dire, qu’est-ce qu’elle a celle-là à faire des manières? Donc, je te tutoie sans te connaître. Mais quand on a fait pleurer ses lecteurs, il faut bien ensuite tolérer leur familiarité. Surtout lorsqu’elle s’exerce à distance.

Je voulais t’écrire pour te répéter une évidence. Te dire ce que tu sais déjà. Car tu le sais, n’est-ce pas? Les critiques, en France comme partout au Québec, l’ont déjà assez proclamé : « Un chef d’œuvre… »

Je voulais te répéter que ton roman est de ceux qu’on marque d’une pierre blanche. Un roman dont on parle à tous ses amis mais qu’on ne prête pas. Un roman qu’on relit un jour de cafard. Un soleil inextinguible parmi nos souvenirs littéraires.

J’avais gardé ton livre pour mes vacances, pour le lire en toute lenteur, sans interruption. Les livres remarquables sont si rares qu’il faut les traiter avec respect. On ne les lit pas à la pause-café ou en attendant l’autobus, à la va-vite.

L’instinct a ça de bon qu’il nous avertit du danger et aussi des grandes joies à venir. Avant même d’avoir ouvert la première page de Va savoir, mon instinct m’avait prévenu que je sortirais chavirée de cette lecture.

Depuis ma découverte flamboyante de L’amour au temps du choléra, de Gabriel Garcia Maquez, je n’avais jamais lu une histoire d’amour aussi intense, aussi désespérée.

Je me suis si bien glissée dans l’univers de Rémi Vavasseur, de la sensuelle Mary, de fille Fannie, de Jina la dure-à-cuire, que je ne voulais pas sortie de Va savoir. Tu as rendu tes personnages si vrais, si présents, que lire la dernière page du roman était comme entrer en deuil.

La beauté pure remue. J’ai pleuré donc.

Comme bien d’autres, je me suis demandé : qui est cet homme capable d’écrire des pages si chaudes qu’elles vous brûlent entre les mains? Si tendres qu’on a envie d’embrasser la couverture blanc cassé de Gallimard?

Que tu sortes ou non de ton anonymat, cher Réjean Ducharme, que tu gagnes ou non le Renaudot, au fond, ça n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est qu’on puisse lire tes livres. Après avoir lu Va savoir, je voulais te répéter les mots les plus clichés mais les plus significatifs que l’on puisse dire à un écrivain: Merci. Encore.

6 commentaires:

  1. Le jour où un(e) lecteur(trice) m'écrira une lettre du genre, je serai un écrivain.

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  2. ... déjà la plume poétique
    et l'encre sympathique...
    ...magnifique...

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  3. Merci, Andrée, de me faire commencer la semaine avec un si beau souvenir. J'ai lu Va savoir, moi aussi. Et, moi aussi, je ne m'en souviens pas. C'est le temps de le relire?

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  4. Dans mon blogue, j'ai cherché le billet où je me passais ce genre de réflexion: "je me souviens d'avoir aimé tel livre, mais j'ai oublié l'histoire, parfois aussi le nom de l'auteur". Pas trouvé. Faudrait faire une étude sur ce qu'est la mémoire. Je pense que vous et moi (et sûrement quelques autres) devons avoir la mémoire du coeur, des émotions. Parfois, j'arrive à la fin d'un film, et même sur la musique du générique et une larme s'annonce. Je n'ai pas revu le film, juste la fin et je suis émue rien qu'à me souvenir.

    Quant à Réjean Ducharme, eh non, il ne m'a jamais arraché de larmes. Mais votre texte, presque. J'aurais tant voulu écrire pour Le Droit. Leur ai même proposé de se mettre à la mode du jour avec un blogue. Pas eu d'écho. Mais où étais-je donc quand vous écriviez pour ce journal? Comme je n'ai plus l'âge de vos lecteurs de livres-jeunesse, contente que vous écriviez aussi pour les adultes, c'est un plaisir de lire votre blogue.

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  5. Cher Camille,
    Avec tous tes prix littéraires, tes honneurs, tes ventes, ta popularité, une bibliothèque à ton nom... et tu penses que tu n'es pas encore un écrivain?!!! Pas de fausse modestie, jeune homme, surtout que sur ton blogue,tu nous rappelles toujours (sourire en coin) à quel point nous sommes chanceux de pouvoir te lire... hihi.

    Cher l'Encre,
    Oh, un commentaire qui rime. Toujours aussi poète!
    Merci
    Andrée

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  6. Andrée-Anne,
    De relire ce que j'avais écrit sur "Va savoir" m'a effectivement donné envie de relire le roman. Étrange non?

    Claude,
    Que c'est beau cette expression: "avoir la mémoire du coeur, des émotions." Je n'y avais jamais pensé de cette façon.

    Il ne faut pas trop regretter de ne pas avoir écrit pour un quotidien. Je ne regrette pas mes années de critique littéraire, mais j'ai passé bien du temps à commenter les livres des autres plutôt que d'écrire les miens... et ça, je le regrette un peu. Mais bon, on ne peut pas tout faire et faut bien dormir et faire l'amour et se promener à vélo et jouer au Scrabble avec ses enfants de temps à autre.
    Andrée

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