dimanche 17 janvier 2010

Devant la critique: oublier son égo



"Writing is rewriting."

Indécrottable curieuse, je suis toujours fascinée par ce qui se passe derrière le rideau (au théâtre), dans la cuisine (du restaurant), derrière la scène (d’un concert). Même chose pour les livres. Chaque fois que c’est possible (par le biais d’entrevue ou de rencontre d’auteur), je suis toujours fascinée de connaître l’histoire derrière l’histoire. Comment l’auteure a écrit son livre, ses recherches, ses enthousiasmes et ses embûches, ses détours et ses détresses, ses refus et recommencements, etc. La mécanique de l’écriture m’intéresse, autant comme lectrice que comme auteure. Et aussi comme observatrice de la nature humaine, car la façon dont se déroule l’aventure de l’écriture nous en dit long sur celui qui écrit… Le temps de quelques billets sur ce carnet, je vous entraîne dans mon arrière-scène.

Je viens de terminer un roman que j’ai commencé en 1991 (ouille!). Je ne fracasserai aucun record de vitesse avec celui-là. C’est un roman pour ados, mon plus long texte à ce jour. Il a avancé par à-coups, passant parfois de longues périodes (lire années…) à s’empoussiérer sur une tablette. Interminable valse-hésitation, passée à sortir cette histoire, la redécouvrir, l’épousseter et m’y remettre.

Dix-huit ans sur le même roman! Y’a pas de quoi pavoiser. Bien sûr, j’ai écris et publié une vingtaine de livres et d’albums pendant ces années, mais celui-là, celui-là, je n’arrivais pas à le terminer. Pour un tas de raisons qui s’appellent paresse, procrastination, manque de concentration, tendance à l’éparpillement…

Durant toutes ces années, ce manuscrit inachevé m’a nargué. Me criant silencieusement que je n’avais pas la discipline, ni la détermination, ni l’endurance pour terminer un roman de cette longueur. Si ce n’avait été de la bourse d’écriture que j’ai eu de cette vénérable institution, je crois que je l’aurais balancé à la poubelle.

Mais bon, après moult faux départs, après d’innombrables atermoiements, j’ai fini par la finir cette histoire qui s’entêtait à me tourner dans la tête et à troubler ma conscience…

Une fois le manuscrit terminé (un roman n’est jamais terminé… on pourrait le retravailler à vie mais bon, faut finir par le laisser aller…) je l’ai soumis à mon éditrice, qui l’a accepté. Fiou.

Ce manuscrit aura donc, après tout (et malgré tout) une vraie vie de livre. Il sera publié ce printemps sous le titre de Miss Pissenlit.

Mais un livre ne se fait pas tout seul. Je vous raconte.

J’ai la chance et le privilège d’avoir quelques lectrices fidèles (elles sont 4 ou 5) à qui je soumets toujours mes manuscrits avant de les présenter à un éditeur. Elles lisent et me font des commentaires pertinents qui me permettent d’améliorer le texte. Cette formule du « critique group » ou encore du « writing group » est très populaire aux USA, mais semble beaucoup moins présente au Québec. Comme si on avait une pudeur à se faire lire avant d’avoir publié, alors que c’est justement avant de publier qu’on a le plus besoin de commentaires critiques.

Pour Miss Pissenlit, comme il s’agissait de mon premier roman pour ados, j’ai décidé de procéder autrement. Le manuscrit a été accepté durant l’été par Québec Amérique et d’ores et déjà, je savais que j’avais devant moi un travail de ré-écriture. Alors avant de commencer la ronde des révisions, j’ai imprimé une quinzaine de copies du roman que j’ai distribuées dans mon entourage. À ma mère, mes sœurs, des amies, des connaissances, des ados, des amis d’amis.

J’ai attendu leurs réactions/suggestions avec moult palpitations. Jamais je n’avais été aussi nerveuse, aussi craintive de la réception d’un de mes textes. Peut-être à cause de la somme de travail investie? Peut-être parce que j’en parlais depuis si longtemps que j’avais suscité des attentes? Peut-être parce que je devais y faire la preuve que je pouvais (ou non?) écrire des textes plus longs, plus complexes, plus ambitieux… J’avais mis tellement de temps à accoucher de ce roman que j’avais très peur que mes lecteurs se disent: « Hein, ça lui a pris 18 ans a écrire ça…. rien que ça… »

En lisant leurs commentaires annotés sur mon manuscrit, je suis passée par toute la gamme des émotions. Gêne. Reconnaissance. Plaisir. Honte. J’ai eu l’impression d’avoir réussi quelques bons coups. J’ai eu l’impression d’avoir autant de talent pour l’écriture qu’un macaque. Me suis sentie très bien comprise et parfois tout à fait incomprise.

Quand on demande aux autres de nous lire et d’être francs dans leurs commentaires, il faut mettre de côté son égo. Quand une ado de 15 met dans la marge un cinglant « kétaine! »…. Ouch! On avale, on rougit et on se sent toute petite dans ses godasses de gratte-papier. Je ne dis pas que cette ado l’a écrit de façon cinglante, mais je l’ai perçue de cette façon-là. Dur, dur pour l’orgueil.

Le plus ironique, ou devrais-je dire le plus paradoxal, c’est qu’en lisant les commentaires sur mon manuscrit, j’oscillais constamment entre la gratitude et le sentiment de persécution. Quand mes lecteurs étaient trop indulgents ou trop louangeurs, je me disais: « Franchement, ils auraient pu être plus critiques. » Et quand certains d’entre eux (fidèles à ma consigne) se montraient très critiques, je me suis dit : « Pourquoi ils sont si durs avec moi? »

Est-ce que c’est ça la quadrature du cercle?

Je me souviens encore avec acuité d’une conversation avec une de mes lectrices, qui en plus de commenter mon manuscrit m’a donné ses impressions de vive voix. Elle me disait: ceci ne fonctionne pas et cela ne marche pas... Et la liste était longue. Et c’était sur des aspects importants du roman (personnages et intrigue…) Et j’étais probablement fatiguée ce jour-là. Ouais, ouais, que je faisais en prenant un air très concentré, alors que je serrais les lèvres pour ne pas me mettre à brailler comme un bébé. Et je me répétais sans cesse : faut pas que je pleure, faut pas que je pleure.

Je ne voulais surtout pas pleurer devant elle et la mettre mal à l’aise alors qu’elle m’avait rendue service en me lisant. Et je voulais surtout protéger l’avenir. Si ma lectrice savait que ses commentaires me faisaient pleurer, elle aurait des réticences à me lire encore. Ou pire, la prochaine fois, elle ne serait pas aussi franche avec moi…

Dur dur de faire lire son manuscrit où l’on s’est investi pendant des années, où l’on a soigneusement (parfois douloureusement) inséré le meilleur de soi-même. Dur dur de s’ouvrir à la critique. De se faire mettre en pleine face ses maladresses ou ses gaucheries. Mais c'est aussi une façon bougrement efficace de les éliminer.

DEMAIN: Autopsie des commentaires de mes « lecteurs ». Ce qu’ils m’ont fait découvrir, les bourdes qu’ils m’ont évitées. Les commentaires qui m’ont fait rire et ceux qui m’ont fait mal.

8 commentaires:

  1. J'aime, j'aime. Encore encore. Je dois être masochiste parce que c'est tellement ce que je vis aussi.

    Mais avec un contrat en poche, ou à tout le moins la certitude d'être publiée, ça doit quand même être plus facile de prendre ces "critiques", non?

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  2. Oh là là ... j'avoue, on est bien dans les aveux hein,l que lorsque j'ai aperçu la longueur de ton billet, j'ai failli dire "demain" (il est tard et je suis fatiguée), Et puis non, mais non, j'ai avalé goulûment sans en échapper un morceau. Premièrement, je te ressemble pour la curiosité des dessous, assez que je m'auto-surnomme Miss Coulisses.

    Ensuite, cette expérience de lecture de manuscrit me passionne car, je l'ai déjà faite. Une quinzaine de personnes oui, mais je n'ai jamais publié cet album pour enfants. Alors vois-tu. Je n'ai pas ton expérience, on s'entend. Et puis, je l'ai tellement travaillé, sur une si longue période, que je ne pouvais plus le voir en peinture. Il a un problème de structure, je suis aussi de le reprendre en neuf ! Comme les maisons avec des fondations croches.

    Oui, c'est dur pour l'égo. Sur le coup, après, on prend le meilleur. Dur, j'en revenais pas jusqu'à quel point, un moment donné, j'ai éclaté en sanglot, faut dire que c'était le commentaire de Marsi ! Quand le sentiment s'en mêle. Il me semble que c'est moins difficile avec des personnes moins près de soi.

    J'irais jusqu'à dire que maintenant mon ego est moins coriace, dans le sens que j'ai plus confiance en moi, je suis un peu moins fragile. Mais encore, sait-on jamais comment je réagirais. En tout cas, je comprends ce que tu as vécu et j'ai terriblement hâte à ton prochain billet.

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  3. Claude,
    Bien sûr, les critiques font moins mal quand on sait que le livre sera tout de même publié.
    Et je dois dire que la sensibilité aux critiques varient selon les jours, le degré de fatigue, le texte en question. Certains jours, la carapace est plus épaisse que d'autres. Mais même si certaines critiques frappent plus dure que d'autres, je ne voudrais pour rien au monde m'en passer.

    Andrée

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  4. Cher Miss Coulisses (j'adore ce surnom),

    Il y a une auteure anglophone célèbre (dont j'oublie temporairement le nom...peut-être Margaret Atwood) qui a dit: La pire chose qu'on peut demander à un de nos proches (mari, chum, soeur, etc.) c'est de commenter un de nos manuscrits...
    C'est vrai qu'on les place dans une situation délicate nos être aimés quand on leur demande d'être à la fois critique et de tenir compte de nos fragilités de créateur. Dans mon cas, je suis une éternelle optimiste et j'aime croire que ça peut enrichir (et peut-être fortifier...) la relation de couple...

    Andrée

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  5. Je trouve ton texte très intéressant! Ce ne doit pas être facile d'étaler avec ses proches le fruit d'un si long travail. La critique, peu importe laquelle, est je pense difficile à prendre, même si on la demande... Je vais suivre la suite demain :)

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  6. Tes proches veulent la suite! Go girl!

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  7. Wow! Aimer les dessous (répétitions, travail en atelier, processus, etc...) ça me connait moi aussi. J'ai assisté à des répétitions pendant des semaines et y ai trouvé un bonheur qui tient de la dégustation! De la même manière, j'ai lu tes deux derniers textes qui m'ont semblé si courts et combien passionnants! Le processus de création me fascine, je n'y peux rien! J'y sens la Vie, l'Intensité à la xième puissance et j'adore! Merci, merci, merci de ta générosité!

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  8. Marico,
    Merci de me lire! Ravie de savoir que ça te stimule.
    Andrée

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