vendredi 22 janvier 2010

À mon éditrice consciencieuse, minutieuse, généreuse et… funambule!



Vous écrivez pour communiquer aux cœurs et aux esprits des autres ce qui brûle à l’intérieur de vous. Nous (les directeurs littéraires) éditons vos manuscrits pour mieux montrer le feu à travers la fumée. » Arthur Plotnik, éditeur et auteur.

Comme je l’ai dit cette semaine, un livre ne se fait pas tout seul. Et s’il y a une personne qui peut avoir une influence, parfois minime, parfois importante, parfois énorme, sur la qualité d’un livre, c’est la directrice littéraire. Ou l’éditrice. Chez certains éditeurs, la même personne porte les deux chapeaux. C’est le cas chez Québec Amérique, où j’ai le privilège et le plaisir de travailler avec une éditrice jeunesse épatante: Marie-Josée Lacharité.

Avant de vous raconter tous les chambardements, altérations et mutations que Marie-Josée a provoquées sur mon récent manuscrit, commençons par quelques considérations théoriques sur le métier de directeur littéraire. Je sais un peu de quoi il en retourne, puisque j’en ai interviewé plusieurs dans un article pour la revue Lurelu, il y a quelques années.

Pour l’écrivain qui dépose un manuscrit, le directeur littéraire fait figure de St-Pierre à la porte du paradis. Il détient la clé qui ouvrira la porte à ce paradis tant désiré, tant attendu: la publication. Une fois que la Grande Décision a été prise (celle de publier), le directeur littéraire se transforme en funambule, pour se lancer dans cette démarche acrobatique et complexe: la révision du manuscrit. Il devra avancer tout en étant à la recherche constante de l’équilibre délicat entre la critique du manuscrit et le respect de l’œuvre. Il devra stimuler l’auteur tout en lui mettant ses défauts d’écriture sous le nez, afin qu’il les corrige. Le directeur littéraire devra encourager la créativité et l’originalité, tout en publiant des livres qui vont rapporter de l’argent. Pas évident.

La révision de manuscrit est un exercice réussi dans la mesure où l’auteur démontre sa capacité de bien accepter la critique et que le directeur littéraire démontre sa capacité à bien livrer une critique pertinente. Conseiller, critique et coach, le directeur littéraire est l’éminence grise du travail d’édition sur un livre. Important, incontournable, mais invisible aux yeux du grand public. Il travaille dans l’ombre, mais par son appui subtil, ses conseils judicieux, sa maîtrise de la langue, sa culture littéraire, sa connaissance du marché, il peut contribuer à transformer un manuscrit ordinaire en roman extraordinaire.

« C’est un métier qui exige de grandes qualités intellectuelles et humaines. Ça prend une sensibilité littéraire, mais aussi une intelligence du cœur, de l’âme. Comme le directeur littéraire travaille dans l’ombre, ça prend aussi de l’humilité pour faire ce travail», me disait cet écrivain en entrevue, dans le cadre de mon article pour Lurelu.

Il m’est arrivé de lire sur des blogues comment d’autres directrices littéraires (car souvent, en littérature jeunesse, ce sont des femmes qui occupent ces postes) s’investissaient dans un manuscrit. Cette éditrice américaine, entre autre, qui a supervisé l’édition américaine de Harry Potter, raconte avec moult détails sur son blogue comment elle travaille un manuscrit avec « ses » auteurs. Il m’est arrivé de les envier ces auteurs. D’avoir envie qu’on donne à mes manuscrits toute cette attention et tout ce bichonnage.

Mais dans le cas du manuscrit de Miss Pissenlit, je ne peux pas, mais vraiment PAS me plaindre. Je n’ai droit à aucune jérémiade, même pas à la plus petite doléance. Car j’ai bénéficié d’une direction littéraire du tonnerre. Zélée, minutieuse, respectueuse, consciencieuse, etcétéra. C’était beaucoup. Plus que j’aurais jamais osé en demander. Plus même que j’aurais jamais osé en rêver.

Je sais que certains auteurs n’aiment pas une direction littéraire trop interventionniste, trop dirigiste, trop encadrante, trop présente. Ce n’est pas mon cas. Éternelle insécure, j’ai un appétit insatiable pour les commentaires et les révisions. Amenez-en des suggestions, à pleines pelles, à plein char, j’en veux.

Pour le manuscrit de Miss Pissenlit, l’aventure de la révision a commencé tout doucement. Peut-être parce que Marie-Josée a lu pour la première fois le manuscrit en juillet, de son chalet… Alors les premiers commentaires de mon éditrice étaient parsemés, assez indulgents même. Quelques indications très pertinentes, mais pas trop. Une révision à la manière d’une bière légère. J’étais soulagée (après tout, je ne suis pas si maso… je voulais que le manuscrit soit accepté) mais un peu mal à l’aise. Comment? Y’avait rien de plus à corriger?

Mais comme je l’ai dit, on était en juillet. Et je n’avais encore rien vu du zèle et de l’énergie de Marie-Josée Lacharité. Et je ne perdais rien pour attendre. Si vous aviez vu les annotations sur les deuxième et troisième versions du manuscrit. MamaMia!

La somme de travail investie par mon éditrice a été énorme. On parle de dizaines d’heures à relire un manuscrit de 68 000 mots, environ 200 pages, à double interligne. Marie-Josée en a fait trois - TROIS – lectures, sérieusement et rigoureusement commentées. Pour vous donner une idée de ses annotations, voyez la page ci-dessus. Et elles étaient presque toutes comme ça!!!

À chaque nouvelle version que je recevais, je n’en revenais pas de voir tout le temps et l’énergie que Marie-Josée mettait à commenter une histoire inventée (la mienne!), des personnages imaginaires (les miens!). J’avais presque l’impression que mon roman ne méritait pas tant que ça. Ce manuscrit que j’avais porté (pour ne pas dire traîner) pendant tant d’années était bien évidemment très important pour moi. Mais il semblait l’être aussi pour mon éditrice! Quel plus beau cadeau peut-on faire à une auteure?

Je ne vais pas vous raconter dans le menu détail tout ce que Marie-Josée m’a fait faire… on serait ici jusqu’à Pâques… Mais je vous en donne quand même un échantillon (voyez, je n’ai aucun orgueil…). La description qui suit pourrait avoir l’air de la vulgaire flagornerie ou d’un numéro de « têtage » éhonté, mais là n’est pas du tout (hhum) mon intention. Je vous raconte ça pour quatre raisons :
1-Pour votre culture personnelle.
2-Pour vous montrer à quel point il y a des gens passionnés et engagés dans le milieu du livre.
3-Pour les lecteurs qui lisent ce blogue, afin qu’ils aient un aperçu de la somme de travail énorme qui se cache derrière un roman.
4-Pour les auteurs qui lisent ce blogue, ça vous fait, comme ça, mine de rien, une petit cours d’écriture (gratuit en plus).

Ce que Marie-Josée m’a amenée à faire sur le manuscrit de Miss Pissenlit:

Pour la vision d’ensemble (the big picture):
-Ayant du recul (ce que je n’avais plus après 15 ans de réécriture…) et une vision fraîche du manuscrit, ma directrice littéraire m’a fait ressortir plusieurs maladresses au niveau de la structure, de la logique, de l’équilibre et de l’écriture.
-Elle m’a incité à aller plus loin dans mon texte, autant au niveau du style et des idées.
-Habile, elle est même arrivée à me faire accepter certains points que je n’avais pas vraiment envie d’entendre.
-Elle a très bien su (on dirait qu’elle a un instinct) sur quels éléments elle devait se montrer conciliante et sur quels points elle ne devait pas céder.
-Elle n’a pas essayé de me faire réécrire le livre à sa façon.
-Elle a fait preuve d’une généreuse patience et a tenu compte des mes états d’âme d’auteure.

Pour le détail (the little picture) :
-Elle m’a demandé de couper 30 pages. Trente!!!! Vous vous rendez compte! Aussi bien m’amputer un bras. J’ai coupé. Je ne sais pas si j’ai coupé trente pages mais j’ai beaucoup coupé. Et j’avoue, sans fausse honte, que le texte resserré est plus convaincant et que ce découpage plus serré a permis d’augmenter le suspense.
-Elle a pourchassé les clichés, débusqué les incohérences, délogé les maladresses et dégagé les perles.
-Elle m’a répété souvent (et avec raison) que j’avais tendance à tout expliquer et que je ne devais pas sous-estimer mes futurs lecteurs ados, que je devais faire honneur à leur intelligence et les inciter à chercher eux-mêmes les réponses laissées en suspens.
-Elle a repéré toutes les chutes et fin de chapitres qui étaient faibles.
-Elle m’a souligné certains points sur l’évolution psychologique (et la cohérence) des personnages.
-Elle a déniché les éléments de l’intrigue qui ne tenaient pas la route.
-Elle m’a incité à rebaptiser de nombreux sous-titres, car ils vendaient le punch.
-Elle a fait une vérification minutieuse de la ligne de temps et de la chronologie des événements dans mon histoire.
-Et quand elle m’a écrit : ta finale est « écoeurante» (lire fantastique), je sautillais de fierté.

Dans un de ses messages qui accompagnait l’une des versions annotées de mon manuscrit, Marie-Josée m’a écrit au sujet des révisions: «On va y mettre le paquet.» Et elle a tenu parole. Elle a consacré des heures et des heures à mon roman, souvent après ses heures de travail. Avec une générosité fabuleuse, elle a mis sa propre énergie créatrice au service de mon roman.

Les éditrices travaillent dans l’ombre et si le livre jouit d’un certain succès, c’est l’auteur qui a la gloire. Je ne sais pas si Miss Pissenlit aura du succès mais ce dont je suis certaine, c’est qu’il serait moins achevé si mon éditrice n’y avait pas consacré autant de temps et d’attention. Il n’y a pas 50 000 façons de dire merci, alors Marie-Josée, je te dis simplement : merci. Multiplié par 50 000.

19 commentaires:

  1. Andrée-Anne,
    Euh...
    Trop d'éloquence pour moi...
    Ça veut dire quoi ouf?
    A.

    RépondreEffacer
  2. Anonyme12 h 21

    Oui, merci à Marie-Josée. Elle nous rend meilleur!

    RépondreEffacer
  3. Merci.
    Moi ce billet me prépare car j'espère un jour être publiée. Je crois que des fois j'aime trop mes mots.
    Quelques petits textes sont parus dans des revues et je n'ai pas eu à faire de grosses corrections.
    Je n'ai pas encore trouvé la maison d'édition qui publiera mes histoires pour enfants.

    RépondreEffacer
  4. Des fois je me demande où elles (et "ils" si quelqu'un réussit à m'en nommer) ont appris leur métier. Diplôme de réviseure que ça ne me surprendrait pas. Et c'est dommage et parfois un peu enrageant, les meilleures sont des Françaises, faut leur reconnaître ce talent et cette minutie.
    Ça fait drôle je cherchais le nom de Geneviève Gilliot que mon père me vantait et qui travaillait pour le Cercle du Livre de France (ex Pierre-Tisseyre) et en fouillant sur Google, j'ai trouvé un article sur elle... signé Jacques Lamarche. (http://news.google.com/newspapers?nid=1250&dat=19790908&id=pJkqAAAAIBAJ&sjid=t10EAAAAIBAJ&pg=4074,4484815) Ça fait bizarre.
    Chose certaine, elles sont bien bonnes de réussir à nous corriger sans nous faire sentir complètement poches. Et nous, il faut être fait fort pour écrire quand même la prochaine histoire, après avoir vu tous nos travers et tous nos manques. Pas certaine qu'il y en ait moins dans le suivant.

    RépondreEffacer
  5. Ginette,
    Il n'y a rien de mal à aimer ses mots... je crois qu'il faut simplement être ouvert à améliorer ce qu'on écrit...
    Andrée

    RépondreEffacer
  6. Chère Claude,
    Vous nous en faites découvrir des choses intéressantes. Je me demande bien comment vous avez fait pour vous rendre dans les archives du Devoir via Google.

    Quant à la formation des directrices littéraires ou éditrices, je crois qu'elles (du moins les jeunes) se la font elles-mêmes sur le tas. Bien que plusieurs ont fait des études en lettres, comme c'est le cas de Marie-Josée.
    Andrée

    RépondreEffacer
  7. Ouf parce que... parce que...

    RépondreEffacer
  8. Je cherchais le prénom de Gilliot, j'ai écrit Gilliot Cercle du Livre de France dans Google et paf, première adresse: Geneviève Gilliot... tatata. j'avais son prénom, j'aurais pu m'en tenir là, mais curieuse comme toujours, j'ai cliqué sur le lien et voilà, direct sur Le Devoir de 1979. J'aurais pu tomber sur l'article d'Alice Parizeau mais non, sur celui de mon père. Il n'est jamais bien loin, celui-là!!!

    RépondreEffacer
  9. Ça fait toujours capoter les enfants quand je présente mes propres feuilles corrigées par mes édit(eu)rices et réviseur(e)s. Ils ne s'imaginent pas que les écrivain(e)s professionnel(le)s puissent avoir besoin de corrections.

    En ce qui me concerne, mon éditrice chez Hurtubise, Sonia, c'est aussi ma psy. Je craque souvent en cours d'écriture (je suis hyper-insécure) et elle me ramasse gentiment.

    Chez Dom & Cie, c'est Agnès Huguet qui a gardé son regard d'enfant et qui rajuste continuellement ma vision de l'histoire (qui est toujours pour beaucoup trop vieux). Si je n'avais pas Agnès, je serais incapable de m'adresser aux 8-9 ans.

    Andrée-Anne: À qui le dis-tu!

    RépondreEffacer
  10. Oui, je vous le dis, c'est... ouf!

    RépondreEffacer
  11. Cher Camille,
    Insécure? Toi? Allons-donc, je n'en crois pas un mot.

    Est-ce à dire qu'un brin d'angoisse se cacherait derrière les fanfaronnades rigolotes du meilleur écrivain jeunesse de la planète Terre, du 20 et du 21e siècle, encore vivant... (l'écrivain, pas le siècle...)
    Andrée

    RépondreEffacer
  12. Chère Andrée, tu n'as pas idée à quel point, continuellement, régulièrement, je remets mon "talent" en question. Mon éditrice Sonia est très patiente avec moi. J'ai beau me dire que ça fait partie du syndrôme de la création, rien à faire, 1 jour sur 2, je me trouve le plus nul de tous. Heureusement, je suis persévérant et discipliné (et modeste), sinon...

    Qui a dit déjà: créer, c'est 1% d'inspiration et 99% de sueurs. Me souviens plus.

    Enfin. Oui, oui, je fanfaronne et le vrai Camille que ma blonde côtoie à tous les jours ne ressemble en rien à celui du blogue. Elle t'en témoignera si j'ai la chance un jour de te la présenter.

    RépondreEffacer
  13. Cher Camille,
    Soulagée que tu te rapproches un peu du commun des créateurs et que tu doutes toi aussi.

    Tu connais la phrase d'Hemmingway? "It's easy to write. You just sit at the typewriter and bleed."
    Andrée

    RépondreEffacer
  14. Camille et Andrée,
    Un jour, j'ai entendu Paul Auster dire qu'écrire, c'est 5% de talent et 95% de travail. C'était il y a 16-17 ans... C'est après avoir entendu cette vérité (oh combien vraie!) que j'ai commencé à me dire que peut-être que, enfin, si je le voulais vraiment, peut-être que je pourrais essayer de commencer à écrire...

    RépondreEffacer
  15. Quand ton billet est sorti, je l'ai lu et je n'ai pas commenté. Mais il m'est resté dans la tête. Tellement d'informations m'impressionnent dans ce billet, à commencer bien sûr par le temps de gestation de Miss Pissenlit. Puis son temps de croissance entre les mains d'une marraine attentive, exigeante et ferme. Et aimante. On l'appelle une directrice littéraire ici. S'y rajoute ton humilité, ta transparence, ton travail acharné.

    Ça donne déjà beaucoup de sens et de sentiment à cette Miss Pissenlit.

    RépondreEffacer
  16. Venise,
    Marraine aimante. Belle expression pour décrire une directrice littéraire. Merci. Je vais m'en servir...
    Andrée

    RépondreEffacer
  17. Jacques D.17 h 46

    Il y a des directeurs littéraires qui prennent ça très à coeur . J'ai des amis écrivains qui ont eu l'impression d'avoir vendu leur âme à force d'avoir fait des compromis. L'important, c'est que l'auteur se sente à l'aise avec ce qu'on lui demande, sinon il doit renoncer.

    RépondreEffacer
  18. Cher Jacques D.
    Tout à fait d'accord avec vous. Il m'est arrivée de faire certaines concessions (notamment pour des albums) que je regrette encore aujourd'hui.
    Andrée

    RépondreEffacer