lundi 5 avril 2010

Haïti n’est pas un pays maudit


Tout bouge autour de moi, Dany Laferrière. Mémoire d’encrier. 160 pages

Dany Laferrière était en Haïti lorsqu’il y a eu le tremblement de terre, le 12 janvier 2010. Deux mois après, il publie ce récit, écrit dans l’urgence, dans la frénésie même.

Certains lui ont reproché d’avoir quitté si vite Haïti, voyant là une forme d’égocentrisme. D’autres lui ont reproché de publier aussi vite un livre sur le tremblement de terre, voyant là une forme d’opportunisme. On ne saura jamais vraiment la motivation réelle et profonde de l’auteur de Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer. Regardons alors le résultat: Tout bouge autour de moi.

Et le résultat, vu le contexte, vu l’émotivité et la complexité du sujet est plutôt bien, n’en déplaisent aux détracteurs de l’auteur... J’en ai parlé ce samedi, dans ma chronique aux Divines Tentations.

Car il a du talent le père Laferrière. Et il a le réflexe d’écrivain, jusqu’au fond des trippes. Car même après frôlé la mort d’un poil, il sort aussitôt son calepin et se met à noter ce qu’il voit autour de lui. Il explique clairement pourquoi dans son bouquin: «Je compte me dépenser jusqu'à épuisement. C'était la condition de mon départ d'Haïti.» Il a le désir d’agir, d’aider à sa façon et pour lui, la meilleure façon, c’est en prenant la plume.

Donc, après le tremblement de terre, Dany Laferrière se promène avec son carnet et note ses observations: l’après secousse, les cris, les larmes, les gens qui chantent dans la rue, les cadavres, la recherche des survivants, l’attente de l'aide internationale, la faim, la soif, etc. Il raconte aussi son sentiment d’euphorie d’être encore en vie, le simple plaisir de manger du pain et de caler un verre de rhum.

Dans ce livre sobre, aucunement sensationnaliste, on retrouve vite la touche Laferrière: des textes courts coiffés de titres accrocheurs, des portraits, des impressions, le tout dans un style hautement poétique.

Vers la fin, Dany Laferrière délaisse la description pour aller vers des textes d’opinion, osant même tremper l’orteil dans la déclaration polémique. Comme celle-ci, où il rejette avec véhémence l’étiquette que certains ont tenté de donner à Haïti : pays maudit. Il écrit :

« Qu’a fait de mal ce pays pour mériter d’être maudit? Je connais un pays qui a provoqué deux guerres mondiales en un siècle et proposé une solution finale et on ne dit pas qu’il est maudit. Je connais un pays insensible à la détresse humaine, qui n’arrête pas d’affamer la planète depuis ses puissants centres financiers et on ne le dit pas maudit. Au contraire, on le présente comme un peuple béni des dieux. Alors pourquoi Haïti serait-il maudit? Je sais que certains l’emploient de bonne foi, ne trouvant d’autres termes pour qualifier cette cascade de malheurs qui s’acharnent sur un peuple démuni. Je dis ici fermement que ce n’est pas le bon mot, surtout quand on peut constater l’énergie et la dignité que ce peuple vient de déployer devant l’une des plus difficiles épreuves de notre temps. »

Par ailleurs, l’auteur de L’énigme du retour pose une question fascinante: pourquoi cet intérêt si vif, chez tant de gens, à l’égard d’Haïti et du peuple haïtien? « Leur aventure est nôtre. Est-ce pourquoi on la suit si attentivement? Pour savoir à quel moment l’homme commence à plier sous le poids des malheurs? Cette question nous intéresse – elle est profondément humaine. »

Les profits tirés de la vente de ce récit contribueront à financer la publication des textes de jeunes auteurs haïtiens chez Mémoire d'encrier.

4 commentaires:

  1. L'ai écouté à "Tout le monde en parle" dimanche soir. Plus je l'écoute, plus je l'aime. Pourtant de la difficulté encore à le lire.

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  2. Anonyme10 h 57

    Je me demandais justement si ce livre était incarné ou pas. Et bien, tu m'as donné le goût et je le lirai.

    Merci !
    Monique L.

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  3. Il y a des porteurs d'eau, il y a des porteurs de mots, Dany Laferrière en est un. Que les profits soient dirigés à l'essor du mot chez ce peuple mis à l'épreuve, est le témoin de sa bonne volonté.

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  4. Claude,
    Il faut réessayer de le lire. Ça en vaut la peine.

    Venise,
    Je travaille encore un peu en développement international... où plusieurs doute de la sincérité de Dany Laferrière. Moi j'ai envie de croire à sa bonne foi - et à sa générosité.
    Andrée

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