vendredi 4 juin 2010

Pourquoi faut-il qu’elles avalent de la térébenthine?


Depuis deux semaines, je donne un coup de pouce à l’équipe du projet Anna. Avec ces femmes engagées, qui ont autant d’ardeur que de convictions, j’ai ri et j’ai beaucoup appris. Je me suis parfois sentie utile et souvent totalement impuissante. Ce qui m’a donné le désir de donner du temps à cette cause, c’est la puissance des histoires d’Anna. Des histoires vraies, où le drame se manifeste de la façon la plus dure et la désespérante.

Anna d’Afrique
Anna d’Afrique vit dans un village isolé et poussiéreux, où il n’y a ni école ni électricité. Le puits est situé à un kilomètre de la hutte où vit la famille de l’adolescente. Un jour, en revenant du puits, Anna est violée par son cousin. Trois mois plus tard, la mère se rend compte que sa fille est enceinte. Anna est bannie du village. Elle réussit à se rendre en ville où on l’envoie à une clinique de santé sur laquelle est affichée une grande feuille d’érable rouge. On lui donne des condoms qu’elle remplit d’eau et des conseils sur la nutrition pour son bébé. Anna marche jusqu’à la capitale du pays où elle accouche sur le terre-plein d’une route achalandée. Deux prostituées généreuses viennent en aide à Anne et l’amènent, avec son bébé, au bordel où elles travaillent. Quelques semaines plus tard, l’adolescente est forcée de se prostituer elle aussi. Six ans plus tard, Anna meurt du VIH-SIDA.

Anna d’Asie
Anna d’Asie habite dans une métropole. Elle est la meilleure élève de sa classe et rêve de devenir médecin. Elle passe ses temps libres à faire du bénévolat dans une clinique de santé maternelle et infantile, gérée par des Canadiens. Un jour, une fille de la classe d’Anna se rend à la clinique; elle demande un avortement, car elle a été violée par son père. Anna supplie le personnel de la clinique d’aider son amie, mais le personnel n’a pas le droit d’offrir cette intervention, sous peine de fermeture de la clinique. Anna accompagne son amie dans une ruelle sombre où elle subit un avortement. À la suite de complications dues à l’intervention, l’amie d’Anna développe une infection et meurt. Anna ne retourne jamais à la clinique et abandonne ses études.

Anna du Canada
Anna du Canada habite dans une petite ville. Elle se rend à une fête d’Halloween au centre communautaire de son quartier. Au cours de la soirée, quelqu’un glisse une pilule – la « drogue du viol » – dans son Coke. En rentrant chez elle, Anna est arrêtée par un groupe de jeunes qui la traîne dans les buissons où elle est victime d’un viol collectif. À la suite de cette agression, Anna se retrouve enceinte. Ses parents discutent avec elle de l’avortement et de l’adoption. Anna ne veut pas garder l’enfant. La clinique d’avortement où elle se rend est immaculée; le personnel est chaleureux et compréhensif. L’interruption de grossesse se fait rapidement et sans douleur.


Dans les pays en développement, plus de 170 000 femmes meurent chaque année des suites d’avortements bâclés. Ces femmes désespérées n’hésitent pas à prendre des risques graves pour avorter :
- boire de l'eau de Javel ou de la térébenthine
- insérer dans leur utérus des objets tels que des bâtons de bois, des cintres ou des aiguilles à tricoter.

Le Projet Anna est né dans l’indignation, à la suite de la décision du gouvernement canadien d’exclure l’avortement de la nouvelle initiative en santé maternelle et infantile, qui sera annoncée au Sommet du G8 en juin 2010.

Nous les Canadiennes, nous avons gagné le droit à l’avortement il y a deux décennies.
Pourquoi notre gouvernement veut-il maintenant nier ce droit aux femmes des pays en développement?
Ce qui est bon pour nous n’est pas bon pour elles?

En refusant de financer l’avortement, le gouvernement Harper réalise un gain politique en faisant plaisir à l’extrême-droite. Et il n’y a pas de coût politique (du moins au Canada) à refuser l’avortement à une femme du Burkina Faso, du Bangladesh ou de la Bolivie…

Ces derniers jours, des Canadiens des quatre coins du pays ont expédié au Premier Ministre Harper les «histoires de Anna».
Une simple chaine de poupées papier pour rappeler que les Canadiens ne veulent pas laisser des femmes mourir inutilement.
En cliquant ici, vous trouverez des modèles de lettres et de poupées.
Un courriel, une lettre, un bout de carton avec une signature... ce n'est pas si compliqué de protester.
Et pour poster une lettre au premier ministre du Canada, il n'est même pas nécessaire de mettre un timbre.

mercredi 2 juin 2010

Quand le livre se pavane


Si les livres avaient des jambes et pouvaient marcher jusqu’à leurs lecteurs, bien plus de gens goûteraient aux fabuleux frissons de la lecture.

Si les livres avaient des jambes et pouvaient sauter dans les bras de leurs lecteurs, bien plus de gens découvriraient la véritable volupté de la lecture.

Mais bon, le livre n’a pas de jambes.
Ce qui ne nous empêche pas de le faire pavaner.

Et c’est justement ce que fait brillamment Guylaine Robichaud, dans sa classe de 2/3e année de l’école Avalon, à Orléans.
Car cette enseignante pétillante connaît bien le plaisir de zieuter un livre.
De jauger sa page couverture.
De supputer son titre.
D’avoir des démangeaisons dans les doigts à force de vouloir l’ouvrir.

Elle a donc installé un petit chevalet à l’entrée de la classe, où elle exhibe chaque semaine un nouveau livre. Avec une question appât inscrite au-dessus du livre.
Et l’intérêt nait, grossit, fleurit.
Et ça mord! Ses élèves réclament ce livre qui leur est présenté en lèche-vitrine.

Une idée toute simple et superbement efficace.
Allez, chers enseignants. Ne vous gênez pas pour exposer, exhiber et faire parader albums et romans dans votre classe.
Pour titiller le goût de lire, rien de mieux qu’un livre qui se pavane.

dimanche 30 mai 2010

« Faire valser l’horizon puis le remettre à sa place... »



Lettre à Saint-Exupéry, Katia Canciani. Fides. 72 pages.

Elle écrit pour les petits et les grands.
Comme St-Exupéry.
Elle a aussi été pilote d’avion professionnelle.
Comme St-Exupéry.
On comprend donc pourquoi Katia Canciani a eu le désir d’écrire au papa du Petit Prince.
Et on est bien contents que Fides ait eu la bonne idée de publier sa lettre à St-Ex.
J’en ai parlé dans ma récente chronique aux Divines Tentations, ici.

À l’approche de la quarantaine, cette auteure, ex-pilote et mère de trois enfants se remet en question. Elle fait le point sur ses rêves d’aviation et ses rêves d’écriture.

Moi qui ne raffole pas des avions, j’ai compris que je n’avais aucunement l’étoffe d’un pilote en frissonnant de peur à la lecture de son accident d’hydravion, à l’âge de 19 ans. Mais comme l'écrit St-Exupéry dans Vol de nuit: « Les échecs fortifient les forts ».

Moi qui ne raffole pas des avions, j’ai eu envie de me faire pousser des ailes après avoir lu avec quelle allégresse Katia Canciani se ballade dans le firmament. Comme elle le dit avec une lumineuse éloquence: « Le vol pour la simple euphorie de voir la terre depuis le ciel, de sentir la puissance du moteur, de faire valser l’horizon et de le remettre à sa place. »

« Faire valser l’horizon puis le remettre à sa place ».
C’est qu’elle a joliment le sens de la formule cette dame Canciani.

Dans cette lettre qui est en fait une longue et lente confidence, l’écrivaine raconte ses espoirs et ses angoisses, ses ambitions et déceptions. Et St-Ex de lui répondre, par la bouche de… ses livres. Katia Canciani tisse si habilement les citations de ce cher Antoine dans le fil de son récit/journal qu’on a l’impression que l’auteur de Terre des hommes a écrit pour elle. Elle lui dit d’ailleurs: «Vos mots me seront fanal.»

Il y a un élément d’universel dans ce livre d'une belle simplicité: l’auteure se pose la question que nous nous posons tous, à divers moments et à divers degrés: est-ce que j’ai fais les bons choix?

Katia Canciani se remet en question sans geindre ou verser dans le mélodrame. Son calme et sa lucidité dans le doute, sa sérénité devant les bribes de réponse ou l’absence de réponse, font de son récit une lecture apaisante et nourrissante.