mardi 16 février 2010

Les Dames Pipi de Cuba



Je ne vais pas vous parler du bleu envoûtant de la mer à Cuba.
Je ne vais pas vous parler de la douceur du sable fin des plages de Cuba.
Je ne vais pas vous parler de la formidable fraîcheur acidulée du mojito, ce célébrissime cocktail cubain.
Je ne vais pas vous parler de la beauté sensuelle des Cubaines et du sex appeal des Cubains.
Non.
Je vais vous parler des Dames Pipi que j’ai vues à Cuba.

45$ du rouleau
Dans les toilettes publiques du petit centre commercial de Varadero, la Dame Pipi était en fait un Homme Pipi. Un gros costaud basané, qui parlait fort avec d’autres costauds basanés. Il tenait un rouleau de papier de toilette dans sa main. Quand il a vu que je me dirigeais vers la toilette des femmes, il a vivement déroulé son rouleau de papier de toilette et m’a tendu une longue bande de papier, tout chiffonné. Ça m’a coûté 1.50$ pour 5 carrés de papel hygienico. À ce prix là, ça doit faire 45$ le rouleau de papier cul…

Mieux payée qu’un prof d’université

Dans un sympathique resto de la vieille Havane, la Dame Pipi ressemblait à une mariée quincagénaire. Elle avait des cheveux blancs, une blouse blanche et une jupe blanche. Assise très droite sur sa petite chaise, postée devant la salle de bain des femmes, la Dame Pipi avait une allure proprette et distinguée. Ses morceaux de papier de toilette étaient méticuleusement séparés, pliés et alignés dans une soucoupe (blanche aussi) posée sur une tablette à ses pieds. Comme je n’avais pas de piécette à lui donner, je suis retournée à ma table pour demander de la monnaie à mon chum. L’amie cubaine qui nous accompagnait est professeur à l’Université de la Havane. Elle m’a dit, d’une voix où pointait une note de dépit: « Elle gagne sans doute plus que moi. »

Cocottes caquetantes

Sur la plage, à Varadero, les toilettes publiques sont de petits cabanons de bois peints dans des couleurs bonbons : rose, vert lime. Il n’y a pas de Dame Pipi devant ces cabanons. Rien qu’une foule de poules affairées. Une cohue de cocottes caquetantes qui s’en fichent qu’il n’y ait plus le moindre petit morceau de papel hygienico dans le cabanon.

Vider la cuvette à la dure
Au terminus de la Havane, où nous avons attendu trois heures un autobus qui n’est jamais venu (notre Godot à nous durant cette journée plus qu’absurde…), la Dame Pipi était à bout de souffle. Le visage rouge, la queue de chemise sortie, elle courait sans cesse entre la salle de bain des hommes et celle des femmes. Pour une raison mystérieuse, il n’y avait pas d’eau courante chez les femmes alors qu'il y en avait chez les hommes. Impossible d’actionner la chasse d’eau pour faire disparaitre son numéro 1... ou son numéro 2... La pauvre Dame Pipi devait donc remplir sa chaudière d’eau d’un côté pour ensuite aller la vider dans les cuvettes des toilettes des femmes.
Elle avait l’air épuisée.
Écoeurée.
J’ai déposé toute ma monnaie dans sa soucoupe.
J’aurais voulu lui offrir une chaise.
Un mojito bien frais.
Une journée à la plage.

11 commentaires:

  1. Tu es constante dans tes sujets: les popotins des petits chinois, la dame Pipi de Cuba...

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  2. Contente de te voir de retour!

    Tu aborde ici un thème classique, que tu réussis a imbriquer de classe. D'ailleurs le nom de tes personnages, Dames Pipi, reflète bien la dualité tragi-comique de la situation.

    Bravo d'avoir mis en lumière le côté absurde de la distribution de papier de toilette!

    Une partie de moi est bien contente moi de voir la dame Pipi faire autant que la prof... L'autre partie se moque des touristes en manque de torchons!

    Merci de m'avoir amusée et touchée!

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  3. Claudel, il faudrait ajouter "Pipi, dehors"! Mais ça, Andrée en parlera sûrement bientôt....

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  4. Claude et Andrée-Anne,
    Vous me faite toute une réputation... mais non, vraiment, je ne suis pas obsédée par le pipi...
    Ce phénomène social des Dames Pipi, ces femmes qui passent leurs journées assises devant les toilettes pour distribuer du papier de toilette, me semble un anachronisme fascinant.
    Andrée

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  5. Chère Dodo,
    Je te reconnais bien là... celle qui prend toujours le parti du plus faible et de "l'underdog"...
    Et aussi ton petit côté tordu qui sourit aux déboires des touristes...
    Andrée

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  6. Bien sûr ce n'était que taquineries. J'ai connu mes premières dames Pipi en 1962, en France. Il y en a moins aujourd'hui si ce n'est plus du tout... en France, mais en Tunisie, j'ai même vu des messieurs Pipi. En fait ce n'était que des garçons qui se plantaient à l'entrée des toilettes et essayaient de récolter quelques dinars pour nous vendre du papier. Nous étions toutes prévenues, on apportait ce qu'il fallait. Ils essayaient alors de se faire payer pour déverrouiller la porte d'une vague cabane de bois, on lui donnait un dinar (environ 1$) mais nous passions 4 en toute vitesse, il n'avait pas le temps de réagir.
    On a toutes des histoires comme ça, mais la vôtre est joliment tournée.

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  7. C'est ce que les Cubains appelons souvent le «réel merveilleux ». Ce type de personnage aparaît souvent dans les films. Ils sont partout, dans les restaurants, les cafés et les hôtels. D'après moi est bien triste. Personne n'a sûrement rêvé de finir son existence en tant que Dame ou Homme Pipi.

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  8. Claude,
    Hé, vous en avez connu des aventures! J'aime bien comment vous avez joué de ruse avec les jeunes Tunisiens... Ça ferait une bonne histoire?
    Andrée

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  9. Cher Boris,
    Vous avez bien raison. Il n'y a rien de merveilleux dans le boulot de Dame Pipi. En fait, ça me semble même un peu tragique, en 2010...
    Andrée

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  10. Moi, j'aime bien le calcul du 45 $ le rouleau. Je me dis que mon petit sachet plastifié rempli de papier mouchoir de Jean Coutu que je tiens toujours dans mon sac à mains vaudrait son pesant d'or.

    J'adore les chroniques non touristiques aussi appelées coulisses de la vie, alors merci !

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  11. Venise,
    Les blogues, ça sert aussi à partager les trucs pratiques. Je vais m'en souvenir du sachet plastifié...
    Andrée

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