En ce dimanche lumineux, dernier jour du Salon du livre de Québec, nous sommes trois à sortir de nos cabines en même temps et nous retrouver devant les lavabos des toilettes des femmes.
La jeune femme est blonde, svelte et pimpante dans sa robe noire et ses bottillons.
Elle se regarde longuement dans le miroir, vérifie ses cheveux, son rouge à lèvre parfaitement rouge.
Elle se tourne vers moi et me demande, fébrile :
Elle: Est-ce que j’ai l’air correct?
Moi (un peu surprise, mais amusée) : Oui, pas de jupon qui dépasse.
Elle : Je présente mon premier roman pour la première fois.
Moi : Es-tu en animation sur scène?
Elle : Non, juste en séance de signature, chez mon éditeur.
Dame aux cheveux blancs (qui écoutait la conversation) : C’est pas compliqué. Il faut juste que tu te dises « je suis belle, j’suis bonne, j’suis fine ».
La jeune femme sourit. Elle vérifie son rouge à lèvres une dernière fois et part sans se laver les mains.
J’ai envie de la retenir, deux minutes, avant qu’elle se lance dans la jungle de son premier Salon du livre comme auteure. La retenir pour l’avertir. La prévenir. Lui dire de ne pas se faire trop d’espoir. Que c’est souvent cruel les salons du livre. Qu’elle sera perdue parmi des centaines d’auteurs et des milliers de livres. Que la foule regarde beaucoup, mais achète peu. Que les visiteurs passent souvent devant ta table sans même te jeter un regard. Qu’elle pourra sans doute compte sur les doigts d’une seule main les gens qui s’intéresseront vraiment à son livre, résultat de deux ans de labeur, d’angoisse, de doutes, d’acharnement et de fierté. J’ai envie de lui dire de se protéger. J’ai envie de lui dire de se laver les mains après être passée aux toilettes.
Dame aux cheveux blancs : C’est beau de voir une jeune excitée comme ça.
Moi : Est-ce que vous êtes auteure?
Dame aux cheveux blancs (secouant la tête) : J’ai toujours voulu écrire, mais je n’ai jamais eu le
guts de le faire.
La dame finit de se laver les mains et part à son tour.
J’ai quitté les toilettes des femmes avec des sentiments partagés. Nostalgique de ne plus vibrer de l’espoir immense de la néophyte. Sereine d’avoir su survivre aux aléas de l’édition et d’avoir assez de
guts pour continuer à écrire.