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J’ai vu cette femme à Dali, une ville pittoresque de la province du Yunnan. Je n’en revenais pas de la voir transporter ainsi des hottes remplies de terre dans le camion. On voit très rarement (si jamais…) ce genre de travail manuel éreintant au Canada…
La chaleur était accablante ce jour là, sa hotte semblait douloureusement lourde et la passerelle étroite branlait lorsqu’elle la parcourait. Tandis que je jouais à la touriste, elle allait passer la journée (7 ou 8 ou 9 heures?) à transporter et à transvider ces hottes de terre. J’aurais voulu l’aider, tout en sachant bien que l’idée était aussi ridicule qu’impossible. Moi, l’étrangère, l’Occidentale, combien de temps j’aurais duré sous ce soleil, à abattre cette besogne brutale? Et même si on m’avait laissé travailler à ses côtés pour alléger sa tâche pendant quelques heures, qu’est-ce que ça aurait changé vraiment – durablement - dans la vie de cette femme?
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Durant notre mois en Chine, il m’est arrivé de me plaindre quelquefois du poids de mon sac à dos, qui me tirait les muscles des épaules. Ce sac de jour que je trainais partout, contenait nos passeports, nos billets d’avions, la bouteille d’eau de l’aînée, la casquette de la cadette, le papier de toilette (indispensable en cette contrée de toilettes turques), les piles pour l’appareil photo, notre collation de la journée, etc. Dans les après-midis de canicule, je le trouvais lourd. Ouais. Rien de comparable à ceci.
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L’adage « les femmes soutiennent la moitié du ciel » remonterait apparemment à l’époque de Confucius. Mao a par la suite popularisé l’expression.
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Chaque fois que je voyais des femmes passer avec ce type de charge, je m’arrêtais pour regarder, en essayant de ne pas les fixer impoliment. Outre la lourdeur de leur fardeau, ce qui me fascinait était leur air stoïque. Est-ce qu’il reste de l’énergie pour penser, pour désirer, quand on porte loin et longtemps des poids si écrasants?
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Dans les grandes villes de Chine, les femmes éduquées ont des carrières, des salaires et des sacs Gucci. À Shanghaï, à Beijing, à Hong Kong, j’en ai vu des centaines de femmes tirées à quatre épingles, perchées sur leurs talons aiguilles, plus maquillées et plus élégantes que bien des Nord-Américaines. Mais dans les campagnes, c’est une autre paire de manches.
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C’est qu’elles triment dur les Chinoises des campagnes. Ce sont les « oubliées de la modernisation ».Beaucoup y sont encore traitées comme des bêtes de somme, brimées par les valeurs traditionnelles d’un système patriarcal.
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En milieu rural, les familles continuent encore de préférer les garçons aux filles. Car c’est le garçon qui devenu adulte, prendra en charge ses parents âgés. Quand la fille se marie, elle suit son mari dans sa famille. D’où cet abominable dicton chinois : « élever une fille, c’est cultiver le champ d’un autre.”
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Selon des statistiques de l’Organisation mondiale pour la santé (OMS), la Chine est le seul pays au monde où les femmes se suicident plus que les hommes.
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Et le taux de suicide est trois fois plus élevé en milieu rural. D’après le journal médical britannique ‘‘The Lancet'', 157 000 femmes chinoises, surtout d'origine rurale, se tuent chaque année. L’une des raisons de ce haut taux de suicide est la disponibilité des pesticides.
Toutes les photos ont été prises par mon conjoint, Neale MacMillan.