samedi 14 septembre 2019

Leçon d’écriture 4 – Tout tourne autour des émotions



10 leçons d’écriture  (une par jour)
ou 
La folle histoire de l’enfantement d’un roman

Décembre 2017
Mon roman ressemble encore à un tas de bouette informe. Malgré le flou et les gribouillis, une chose est très claire : il y aura de l’émotion dans mon histoire. Des tonnes d’émotions! Je veux que mes lecteurs se roulent de rire. Je veux aussi les faire brailler.

Tous les romans qui me sont restés en mémoire, ceux que j’ai relus avec délice, ceux que j’ai admirés et jalousés, tous avaient un élément commun : ils m’ont fait vibrer. Je cherche donc à concocter un marquant mélange de tragique et de comique.

Au fur et à mesure que s’allonge mon manuscrit et s’empilent les chapitres, la même question me hante : comment faire pour que le lecteur s’investisse émotivement dans la détresse de Thomas? Dans les mauvais coups de Samuel? Dans l’idéalisme d’Élie?

J’essaie de varier les émotions, de mettre de l’avant la joie intense (celle qui donne envie d’embrasser les poteaux de téléphone) autant que la peine profonde (celle qui fait brailler à gros sanglots morveux). Parce que dans ce roman, je veux montrer la vie dans ce qu’elle a de drôle-et-pas-drôle.

Pour l’aspect dramatique des émotions, ce ne sera pas difficile. Puisque Thomas fait tout pour revoir sa mère qui fait tout pour l’éviter, le drame est déjà encastré dans l’intrigue. Les moments crève-cœur sont immanquables. Ce que je dois éviter, c’est la surdose d’émotions déchirantes qui ferait glisser le récit dans le pathétique. Le dosage des émotions est aussi important que l’émotion elle-même.

Pour les émotions teintées de rires, c’est ardu pour moi. L’humour a toujours été mon défi, mon Graal. Je dois creuser loin et longtemps dans mes méninges pour trouver quelques graines de comique. Dans La plus grosse poutine du monde, l’humour tournait autour des insultes du youyou du Sénégal. Mais en humour, il faut savoir se renouveler…

Pour le moment, mon manuscrit ne regorge pas de contenu comique. J’ai un jeu de mots sur les bélugas (merci Monsieur Google), une blagounette sur les gâteaux Vachon et quelques dialogues moqueurs entre Thomas et Samuel. Plutôt maigre comme moments rigolos. Mais l’humour sophistiqué, l’humour fin et fort, ça se construit, ça se travaille. Je continue donc à me décarcasser pour chercher vaillamment le cocasse.

Leçon d’écriture 4:  Un roman sans émotion, c’est aussi lamentable qu’un gâteau sans glaçage, qu’un paysage sans horizon. S’il n’y a pas d’émotions dans ton histoire, tu rates ton coup et tu perds ton lecteur.

jeudi 12 septembre 2019

Leçon d’écriture 3 – Laisse courir tes doigts sur le clavier



10 leçons d’écriture
ou
La folle histoire de l’enfantement d’un roman


Novembre 2017

Après plusieurs mois de recherche et de bricolage autour de l’intrigue, je dois faire face à la musique. J’ai complété mon outil de travail principal : un tableau avec toutes les scènes, les thèmes abordés, ainsi que les allées et venues des personnages. C’est la charpente de mon roman. J’ai tout ce qu’il me faut pour commencer la rédaction.

J’écris un ou deux chapitres. Je me relis. Ouille! Comme c’est endormant! Banal et beige! Le côté terne de mon manuscrit me frappe comme une claque au visage. C’est d’autant plus décourageant que je sais que les attentes sont élevées pour la suite de Laplus grosse poutine du monde. J’ai peur – très très peur! – de décevoir. Me voilà donc encore plus critique devant chaque paragraphe que je réussis à pondre.


Pourtant, je connais bien la technique du premier jet. Certains auteurs anglophones appellent ça le « vomit draft. » Traduit crûment, ça veut dire le brouillon que tu vomis. À l’étape de la première ébauche, ce n’est pas le moment de corriger la structure, le style, les images, le rythme. Il faut plutôt coucher rapidement sur papier une première version complète de l’histoire. Après, plus tard, ce monceau de mots pourra être relu et retravaillé beaucoup-souvent-longtemps. Comme dit Jean-Philippe Arrou-Vignod, les écrivains ont un grand avantage sur les artistes de scène : ils ont « droit au lendemain. Le droit aux ratures ». 

Tandis que je transpire sang et eau à accoucher de cette première version, j’essaie de garder un certain équilibre : laisser mon imagination s’épivarder, tout en ne m’éloignant pas à des kilomètres de l’intrigue tracée. J’ouvre le robinet des rêveries. Je laisse couler librement les idées. Surtout, surtout, je concentre pour faire taire cette petite voix intérieure, agaçante, celle qui blâme et condamne, celle qui chuchote cruellement : « Ce que tu as écrit est ennuyant, endormant, assommant… » J’essaie d’écrire les yeux fermés pour mieux inviter les images mentales. J’évite d’analyser. Je me retiens à trois mains pour ne pas relire.

Leçon d’écriture 3 : Pour ton premier brouillon, pas de relecture ni de ratures, surtout pas d’autocritique. Laisse galoper ton imagination. Laisse courir tes doigts sur le clavier. 

Leçon d’écriture 2 – La recherche n’est pas une béquille



10 leçons d’écriture

ou

La folle histoire de l’enfantement d’un roman 

Octobre 2017

Troisième mois d’écriture. J’ai avancé cahin-caha dans le tricotage de mon intrigue, mais j’ai surtout passé beaucoup de temps à surfer sur la Toile pour faire ma recherche. En tant qu’ex-journaliste, j’ai l’habitude de la recherche. J’adore fouiller, explorer, découvrir, comparer. Pour ce roman, le gros de ma cueillette d’informations se fait sur le Web. Je passe des heures à naviguer d’un site à l’autre, à me transformer en éponge pour mieux imbiber diverses infos sur les ricochets, l’ocytocine, les colibris et les kayaktivistes. Tout ça va servir à engraisser mon intrigue, à la rendre aussi colorée que palpitante.

Évidemment, je lis tout ce que je trouve sur les bélugas. Je mène aussi quelques entrevues qui s’avèrent précieuses. Robert Michaud, directeur du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM), me donne un conseil archi utile : éviter « l'anthropomorphisme gnangnan » pour parler des bélugas. Pour mes questions sur Cacouna et la pouponnière des bélugas, j’ai le bonheur de tomber sur Yvan Roy, un photographe-journaliste qui offre des réponses minutieuses et nuancées. Grâce à lui, j’engrange une foule de petits détails précieux car comme disait ce cher Da Vinci, « les détails font la perfection ».



Contrairement à la création, la recherche ne suscite aucun tiraillement douloureux. Juste le pur plaisir d’apprendre. Je m’en sers donc allègrement comme excuse pour procrastiner et repousser à demain (ou après-après-demain…) le moment d’écrire.

Oui, oui, la recherche est amusante et stimulante, mais un danger guette l’écrivain zélé : en faire trop. Trop de recherche, c’est comme pas assez. Au moment d’écrire le récit, il faudra sélectionner, synthétiser ou élaguer toute l’information recueillie. Dans mon cas, j’ai accumulé tellement d’infos que je pourrais presque écrire une encyclopédie sur les bélugas. Sauf que Bayard ne m’a pas demandé un documentaire mais un roman pour la collection Zèbre. Roman = fiction. Alors Andrée, cesse de vagabonder sur le Web et passe aux choses sérieuses. Attache-toi à ton siège et commence vraiment à l’écrire ton roman.

Leçon d’écriture 2 : Si tu veux fertiliser ton histoire avec de l’information factuelle, amuse-toi (et enrichis-toi) à faire de la recherche avant de commencer à écrire. Cette recherche pourrait même faire jaillir de nouvelles idées qui alimenteront ton intrigue. L’important, c’est de ne pas prendre la recherche comme une béquille pour éviter d’écrire. Tu éviteras aussi d’utiliser l’information glanée pour du remplissage dans ton récit.


mercredi 11 septembre 2019

Leçon d’écriture 1 - Une idée n’est pas une intrigue




10 leçons d’écriture  (une par jour)

ou 

La folle histoire de l’enfantement d’un roman 


Leçon d’écriture 1 - Une idée n’est pas une intrigue

Juin 2017
Depuis plusieurs années, des classes m’écrivent pour me demander une suite à
La plus grosse poutine du monde. Hein? Quoi? Mais, mais, mais…jamais je n’ai eu l’intention d’écrire une suite! Oui d’accord, mon roman se termine sur une fin ouverte.  Parce que je voulais laisser au lecteur le plaisir de s’imaginer les retrouvailles entre Thomas et sa mère... Mais bon, j’ai vite constaté que la plupart des jeunes (et même les moins jeunes!) n’aiment pas les fins ouvertes. Ils veulent qu’on leur mette les points sur les i et les barres sur les t. Dans le cas de mon roman, les élèves voulaient savoir s’il y aurait des éclairs ou des câlins lorsque Thomas allait revoir sa mère après 10 ans d’absence…

Je déteste relire mes livres. J’y trouve toujours des tonnes de défauts ce qui me donne une folle envie de les réécrire. Toutefois, avant de commencer à écrire la suite de La plus grosse poutine du monde, je me suis pincé le nez et me suis forcée à relire le roman pour me remettre dans la peau des personnages.

Cinq ans après la parution du livre, me voilà enfin prête à replonger dans l’univers de Thomas le taciturne, Samuel le farceur et Élie au-grand-cœur. Je dis prête mais en fait, je ne le suis pas une miette. La seule chose que je sais, c’est que ce roman parlera de bélugas. La lente disparition de cesbaleines blanches dans le Saint-Laurent me fascine depuis longtemps. Si les bélugas forment l’embryon d’une idée, c’est loin d’être une intrigue, encore moins un récit.

Tu veux une intrigue solide? Il te faut un bon conflit. Pour le moment, je n’ai qu’un squelette de conflit, qui tourne autour d’une chicane entre Thomas et son copain Samuel. Mais ça, c’est du niveau de la sous-intrigue. Même chose pour l’histoire d’amour entre Élie et Thomas… Le principal conflit de ce récit devrait être la quête de Thomas pour retrouver sa mère. Mais où? Quand? Comment? Quel sera l’incontournable élément déclencheur? Je ne peux plus parler de poutine ou me servir une deuxième fois du record Guinness. Et les bélugas dans tout ça? Comment vais-je arrimer cet enjeu environnemental au quotidien de mes personnages?

Tous ces points d’interrogation tourbillonnent dans ma tête. Je jette des idées sur papier, mais tout me semble flou. Terne. J’avance à tâtons ou je tourne en rond. Certains auteurs sautent sans filet et entament leur roman en se disant qu’ils iront là où les personnages les mènent. Moi je suis plus du genre mémère que kamikaze. Je ne saute pas sans parachute. Non, je ne commencerai pas à écrire ce roman sans d’abord savoir comment l’histoire se termine.

L’échafaudage de mon intrigue progresse à pas de tortue. Je passe un temps fou à construire-déconstruire les blocs de mon récit, à chercher l’agencement le plus puissant. Pour bâtir une histoire captivante, il ne suffit pas d’enfiler les actions comme les perles d’un collier. Je dois organiser mes scènes pour créer une tension dramatique et générer cet ingrédient indispensable au plaisir de lecture : le suspense.

Leçon d’écriture 1 : Tu as trouvé une idée originale et accrocheuse. Bravo pour ce bon début. Mais souviens-toi, une idée n’est pas une intrigue.