vendredi 7 août 2009

Un éléphant sur son vélo


Du plus loin que je m’en souvienne, ma mère faisait du compost, alors que ce n’était même pas encore une mode. Et ça me fascinait. J’aime tout ce qui touche le recyclage. Cette pratique satisfait mon goût de l’ordre, du triage et de la conservation. Tout ça nourrit aussi un désir, plus abstrait, de ne pas souiller davantage une planète déjà plutôt mal en point.

J’ai d’ailleurs pondu un album pour tout-petits (à paraître cet automne), qui aborde humoristiquement la question du recyclage.



Les Chinois ont la réputation d’être très économes. Pas étonnant dans un pays qui a connu son lot de famines (dont certaines encore récentes.

Le recyclage est donc très visible en Chine. Tous les jours durant notre voyage, j’ai vu des gens en train de fouiller dans les poubelles, trier, cueillir et transporter des déchets.


On est loin ici des bacs bleus roulants de 360 litres qui sont cueillis au bord du chemin par un camion mécanisé.
Dans toutes les villes, petites et grosses, j’ai vu ces gens (hommes et femmes) ployer sous des sacs gigantesques, remplis à craquer de carton, papiers, bouteilles. Souvent perchées précairement sur une bicyclette, cette montagne de déchets (qui faisait vingt fois le poids de celui qui la transportait) tenait par une simple corde. Essayer voir de rouler avec un tel éléphant sur votre vélo…


À Beijing seulement, ils seraient 160 000 travailleurs, la plupart des migrants, à travailler dans la récupération, le tri et le transport des déchets recyclables.
Le drame, c’est que la crise économique mondiale a fait des ravages dans l’industrie du recyclage. La valeur des déchets a baissé de façon draconienne. Une bouteille de plastique vaut la moitié de ce qu’elle valait l’an dernier. Ce qui a détruit le gagne-pain pour des milliers de gagne-petits… Plusieurs travailleurs migrants, venus en ville pour s’enrichir grâce aux déchets, ont donc dû retourner dans les campagnes qu’ils avaient quittées pour améliorer leur niveau de vie.

La Chine est le principal importateur de déchets au monde. La consommation y étant moins développée qu’en Occident, un fort pourcentage des matériaux qui alimentent l’industrie du recyclage viennent de l’étranger. Mais comme les prix des déchets ont dégringolé, la Chine refuse aujourd’hui des cargaisons en provenance des États-Unis ou d’Europe.


Pendant ce temps, dans l’Ouest, nos dépotoirs débordent, nos décharges se gonflent et nos déchets créent des montagnes puantes et polluantes, dont personne ne veut dans sa cour…

Les photos sont de mon conjoint, Neale MacMillan.

jeudi 6 août 2009

Manger amer



Deng Xiaoping en visite aux États-Unis en 1979.

Durant mon voyage en Chine, j’ai lu River Town de Peter Hessler, un témoignage évocateur, perspicace, drôle et émouvant sur ses deux années dans la province du Sichuan à enseigner l’anglais.

Ce jeune Américain vivait en Chine quand Deng Xiaoping est décédé, en 1997. Dans son bouquin, il raconte quelques anecdotes de la vie mouvementée de celui qui a dirigé les destinées de la Chine, entre 1978 à 1992.

C’est qu’il a connu plus que son lot de drames, le camarade Deng. En luttant contre la corruption du Parti communiste, il s’est fait des ennemis. Il a donc été purgé du Parti durant pendant la Révolution culturelle. Pour sa «rééducation», Deng a été envoyé en campagne pour y travailler comme ouvrier. Sa famille aussi a été « punie ». Son fils est devenu paraplégique après une mystérieuse « chute » d’une fenêtre lors d’un interrogatoire mené par des gardes de l’Armée rouge.

Mais Deng a rebondi et a lentement refait son chemin vers le Parti pour atteindre les sommets du pouvoir, qu’il a exercé jusqu’à sa mort en 1997. Reconnu pour son pragmatisme, il avait pour devise : « Peu importe que le chat soit noir ou gris : s'il attrape les souris, c'est un bon chat »

Une anecdote sur Deng Xiaoping, racontée dans le livre de Peter Hessler, m’a fascinée. Les Chinois disaient de Deng: «He could eat bitter». Littéralement : manger amer. En effet. Même s’il a fait de graves erreurs politiques (notamment la répression des manifestations sur la place Tiananmen en 1989), Deng a démontré qu’il avait du cran, du courage, de la vaillance et de la résilience pour survivre aux épreuves et privations.

Manger amer… cette expression m’a fascinée. M’a fait penser à ma vie ouatée. À mes périodes de paresse et de mollesse... Je ne sais pas «manger amer». Je ne le saurai sans doute jamais, ayant toujours vécu dans cette culture nord-américaine qui exige la facilité, le tout-tout-de-suite, la gratification immédiate.

Pourtant, si j’apprenais à «manger amer», je pourrais sans doute mieux rebondir après les déceptions ou les revers… Peut-être même que de savoir «manger amer» pourrait m’amener sur le sentier si tentant... et si épeurant... du dépassement.

mercredi 5 août 2009

« Comparé à Mao, Hitler était un chaton"


Selon de nombreux historiens, Mao Zedong, dirigeant de la République populaire de Chine, aurait causé la mort de 60 à 70 millions de personnes dans son pays. Un Canadien qui vit dans le Yunnan depuis cinq ans me disait d’ailleurs : « Compared to Mao, Hitler was a pussycat. »

D’où mon étonnement de constater qu’en 2009, Mao est encore très présent en Chine, du moins iconographiquement. La politique étant un sujet archi-délicat dans l’Empire du Milieu, je n’ai pas mené d’entrevues auprès des Chinois pour savoir qu’elle est leur opinion de leur ancien Président. J’ai cependant souvent vu des photos dans les endroits publics, beaucoup de souvenirs dans les magasins, qui montrent que le mythe du grand Timonier est loin d’être déboulonné.



Sa présence se manifeste d’ailleurs de façon incontournable sur la célèbre place Tianamen à Beijing, où trône son immense portrait et où les foules attendent en ligne pendant des heures pour voir son cadavre préservé.



Mao fut l'inspirateur direct du Grand Bond en avant (1958-60), une politique économique qui s'est soldée par la famine la plus meurtrière de l’Histoire: 38 millions de personnes mortes de faim. Il fut aussi le père de la Révolution culturelle (1966-1969), gaspillage tragique de ressources et d'énergies, qui a étouffé la culture chinoise et a fait reculer la Chine sur le plan technique, économique et écologique.

Dans Mao. L'histoire inconnue, Jung Chang et Jon Halliday raconte sur plus de 800 pages toutes les horreurs perpétrées sous le règne de Mao. Les mots qui reviennent le plus souvent pour le décrire sont : dictateur, despote, ambition et paranoia. Les mots qui reviennent le plus souvent pour décrire son régime totalitaire sont : purges, campagnes de terreur, répression, dévastation. Le livre est interdit en Chine, car d’après ses auteurs, le régime communiste actuel perpétue le mythe de Mao.


Comme écrivaine éternellement insatisfaite de ses ventes, j’ai été estomaquée de découvrir le succès colossal de Mao comme «auteur». Le Petit Livre rouge, recueil de citations tirées des discours et écrits de Mao, est en effet le livre le plus vendu au monde après la Bible. On estime les ventes à 900 millions d'exemplaires.

Les photos ont été prises par mon conjoint, Neale MacMillan.

mardi 4 août 2009

Avez-vous mangé votre riz aujourd’hui?


Si j’étais un paysage, je serais une rizière.

Tout au long de notre voyage, durant nos trajets en autobus et en train, j’ai passé de longs moments à contempler les rizières. Même si le développement industriel et urbain a fait baisser de façon draconienne la superficie des rizières en Chine (obligeant le pays à importer), le riz reste la céréale emblématique de ce pays.

Ces marées verdoyantes, ondulant dans le vent, c’était pour moi la quintessence de l’Empire du Milieu.

Ce qui me fascinait des rizières :
- La symétrie méthodique de ces grandes étendues cultivées.
- La concision des sentiers et des canaux qui ouvraient des sillons dans ce tapis lisse.
- Les cultures en paliers dans les montagnes, démonstration éloquente de l’art paysager, de l’ingéniosité et de la sueur humaine.
- L’éclat du vert sous les rayons glorieux du soleil de midi.
- La douceur du vert dans la lumière tamisée de fin de journée.


Le riz en Chine, c’est 10 000 ans d’histoire. En analysant au carbone 14 des grains de riz découverts lors de fouilles, on a établi qu’il était cultivé dès les années 8200 - 7800 avant J.C.


En regardant les travailleurs dans les champs de riz, certains portant le traditionnel chapeau de paille, j’ai pensé : les Chinois font ces gestes depuis des millénaires. Après les gratte-ciel de Shanghai et de Beijing, la Chine ancienne me semblait encore vivante dans les rizières… car la culture de cette céréale emblématique semble peu mécanisée. La routine d’un fermier chinois de 2009 reste sans doute assez semblable à celle d’un fermier de 1809…

Dans le passé, il était d'usage pour les Chinois de se saluer en disant: "Avez-vous mangé votre riz aujourd'hui?" Quelle façon élégante de dire bonjour, en exprimant illico son intérêt pour le bien-être de l’autre.


Contempler les rizières avait sur moi un effet hypnotisant. Avec leur aura d’ordre, de netteté, ces champs de riz étaient reposants à regarder. Je sais pourtant qu’il est éreintant d’y travailler. Que chaque étape de cette culture (plantation, repiquage, labourage, irrigation et récolte) amène son lot de sueur et de douleurs. «Back-breaking labor», comme disent les Anglais.

Je sais aussi que les fermiers qui y travaillent sont loin d’être riches. N’empêche. La vue de ces rizières si minutieusement entretenues offrait une impression d’ordre et d’harmonie, me donnait l’illusion d’un monde cohérent et serein, où le riz pousse paisiblement entre l’eau, le soleil et le bleu du ciel.

Si je pouvais être un paysage, je serais une rizière.


Toutes les photos sont de mon conjoint, Neale MacMillan.

lundi 3 août 2009

Le ridicule est question de perception

Le ridicule ne tue pas. Je me tue à le dire à mes filles. En vain.

À plusieurs moments, durant notre périple de 33 jours en Chine, ma progéniture m’a trouvée ridicule. Devant certains de mes gestes un peu…fantaisistes, mes filles ont protesté. Parfois faiblement, parfois plus vigoureusement. Comme si elles avaient peur que le ridicule dont je me couvrais (à leurs yeux…) les éclabousse. Ou que mes élans «ridicules» soient contagieux.

Leurs protestations ne m’ont pas arrêtée, ni même ralentie. Je n’ai plus assez de vanité pour m’angoisser de ce que les autres penseront de mes pitreries (qui étaient somme toute, bien sages…). À mon âge, avec la vie qui s’écoule si vite, avec tout ce que je n’ai pas encore goûté ou tenté, je n’allais certainement pas commencer à m’auto-censurer, surtout pour des comportements plutôt anodins et certainement inoffensifs qui ne faisaient de mal à personne, sauf à l’orgueil de mes filles.

Par exemple, ça les gênait que je fasse des guilis-guilis en simili mandarin aux bébés pimpants que je croisais dans la rue.


J’aurais dû leur citer Alain : « Qui n'a jamais été ridicule ne sait point rire.

Un jour, au resto, on avait comme voisins de table une famille chinoise, dont le gamin d’environ cinq ans s’emmerdait pendant que ses parents s’éternisaient sur leurs assiettes vides en fumant une enième cigarette…

Tiens, que je me suis dit, je m’en vais te le désennuyer ce jeunot. Mais ce n’est pas avec mes cinq mots de mandarin que j’allais pouvoir lui raconter une histoire trépidante de mon cru. J’ai donc eu recours au bon vieux langage universel: celui des mains.

Et je me suis lancée dans ma comptine préférée, celle que l’on mime avec les menottes: « Roule, roule, roule, pique, pique, pique, tape, tape, tape, hourrah! »


Mes filles se cachaient le visage derrière leurs baguettes pour éviter de me voir ou/et pour éviter d’être vues.
Le petit Chinois, lui, en redemandait.

Près de Nanchang, nous sommes allés visiter l’un des trois villages anciens de Anyi, vieux de 1000 ans. On y a préservé des maisons dont l’architecture remonte aux dynasties Ming et Qing.

Durant la visite, notre guide nous entraîne vers cet arbre magnifique et nous raconte que selon la tradition locale, si l’on tourne trois fois autour de l’arbre en faisant un vœu, notre souhait se réalisera.


Je m’empresse aussitôt de poser mon sac à dos pour tourner trois fois autour de l’arbre.

- Maman, s’exclame ma fille cadette, de ce ton qu’elle prend quand elle me trouve ridicule. Un ton frustré. Affligé. Mortifié. Un ton qui veut dire: tu vas encore faire une folle de toi...


Mais le ridicule est question de perception. Ce qui semble risible ou loufoque pour l’un peut s’avérer normal ou banal pour l’autre. Il y a eu un moment durant le voyage où j’ai été indubitablement et incontestablement ridicule. C’est le jour où je me suis mise à chigner de trouille devant un pont suspendu (j’y reviendrai dans un prochain billet). Terrifiée par cette crevasse, par ce vide cauchemardesque, je n’arrêtais pas de gémir: « Pas capable. Pas capable. Pas capable…»


Loin de me trouver ridicules, mes filles se sont transformées en deux modèles de sollicitude et de patience. Elles m'ont entourée pour m’aider à traverser (littéralement) l’épreuve. De l’autre côté du pont, la terre ferme sous mes pieds, mon moment de faiblesse m’a semblé franchement ridicule.

Toutes les photos sont de mon conjoint, Neale MacMillan.