Aiden et ses fossettes affriolantes |
Qu’est-ce qu’une chocophile ne ferait pas pour un igloo au chocolat?
En fait, je ne devrais même pas commencer cette histoire par l’igloo au chocolat, car le gâteau est ici accessoire. Cette histoire n’est pas la mienne (même si c’est moi l’incurable chocophile), mais plutôt celle d’un petit garçon qui croque dans la vie avec autant de délectation que moi je croque dans le chocolat.
Il s’appelle Aiden, il a cinq ans et des fossettes affriolantes. Quand j’ai rencontré sa classe à l'école J.H. Sissons, pour une animation d’auteure, par un matin frigorifié à Yellowknife, la première chose qu’Aiden m’a dite – qu’il a hurlée! – c’était Pipi dehors! Pipi dehors!
Aiden voulait absolument que je lui raconte cette histoire que leur dynamique enseignante, Danie Boudreau, leur avait pourtant déjà lue. J’ai fait mon animation habituelle pour élèves de maternelles. À la grande déception d’Aiden, je n’ai pas lu Pipi dehors. Il a quitté mon local en sautillant et chantonnant : Pipi dehors! Pipi dehors!
L'omelette norvégienne dans toute sa splendeur, préparée par Danie Boudreau et ses élèves |
Fidèle à moi-même et à ma chocomanie, j’ai demandé aux élèves de la classe de Danie de me garder un morceau de leur igloo au chocolat. Oui, oui, ont-ils promis. Je croyais alors qu’ils étaient de bonne foi. Hmmmfff...Quant à Aiden, fidèle à lui-même, il a hurlé : Pipi dehors! Pipi dehors!
Le voilà, ce superbe gâteau dont je n'ai pas mangé une miette... |
- Et puis, votre igloo en chocolat? Il était bon? que je demande.
- Oui!!! répondent les enfants en chœur.
- Et mon morceau?
Les enfants ont haussé les épaules. Disparu l’igloo. Entièrement englouti. Même pas deux ou trois miettes mises de côté pour l’auteure. Zut de zut.
- Pipi dehors, Pipi dehors! a hurlé Aiden.
Je me suis alors demandé s’il croyait que mon nom était non pas Andrée Poulin, mais Pipi dehors. Mais non, dans son français hésitant, il a réclamé que je lui raconte encore cette histoire. Ou que je lui donne une copie du livre. Désolée Aiden. Impossible. D’autres classes m’attendent.
À l’heure du dîner, je feuilletais des albums à la bibliothèque de l’école J.H. Sissons quand le petit Aiden surgit à côté de moi. Cette fois, il ne hurle pas Pipi dehors!, mais me dit dans son français approximatif : Gâteau! Gâteau!
- Vous m’avez gardé un morceau de votre igloo au chocolat?
- Oui, oui! dit Aiden, aussi sautillant qu’une sauterelle.
Me voici donc à suivre ce bout de chou dans les corridors de l’école, salivant déjà comme un chien de Pavlov. Arrivée à sa classe, pas le plus petit signe d’igloo au chocolat. La chocophile avait été piégée. Et ce coquin d’Aiden qui riait, riait à s’en fendre les babines.
- Tu m’as joué un tour? Y’a pas de gâteau?! que je lui ai demandé, incrédule.
Pour toute réponse, Aiden a ri encore plus fort. Radieux de sa bonne blague. Ravi de sa ruse. Ravi d’avoir pris l’auteure dans son attrape-nigaud. J’ai ri moi aussi. Charmée par son culot. Émerveillée par sa flamboyante joie de vivre.
Deux heures plus tard, à la récréation, voilà Aiden qui se pointe de nouveau dans mon local d’animation. Il m’a tendu un bout de carton coloré.
- Cadeau! décrète-t-il.
Une oeuvre d'art signée Aiden |
J’ai pris le carton. Je l’ai examiné soigneusement avant de me prononcer. Je ne voulais surtout pas insulter l’artiste.
- C’est un gâteau, a-t-il décrété, comme si j’étais la pire des niochonnes.
- Ah… C’est un morceau de l’igloo au chocolat?
- Oui!
Aiden a souri de toutes ses fossettes, fier de lui, fier de son dessin, heureux de la vie.
J’avais devant moi une incarnation de l’enfance dans ce qu’elle a de plus lumineux, de plus vivifiant:cette fabuleuse capacité de tirer un vif bonheur de petits riens.
Je n’ai pas pu résister.
J’ai donné à Aiden ma dernière copie de Pipi dehors.
Il est reparti en gambadant.