(Photos de Neale MacMillan)Ça s’est passé le mois dernier mais j’y pense encore.
Et chaque fois que j’y pense, me reviens la même question, le même dilemme.
J’ai eu un élan et je l’ai étouffé.
Une sage décision ou une occasion ratée?
Yo no sé.
La scène se passe à Cuba.
On revient d’une journée loin de la très touristique Varadero, une virée vers l’arrière-pays pour voir la fascinante réserve faunique de
Cienaga de Zapata, région aussi connue pour le célèbre fiasco de la
Baie des Cochons.
J’y ai vu des flamands roses et des écrevisses bleues.
J’y ai mangé un plat de poisson simple mais d’une fraîcheur inégalable.
La mer a sa robe azurée des jours de soleil et le clop-clop des sabots des chevaux dans ces rues campagnardes me donne envie de chanter.
Sensation de plénitude.
Conscience du luxe que j’ai de pouvoir découvrir les odeurs et couleurs des Caraïbes.
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On traverse de petits villages aux allures négligées et surannées, où des enfants jouent au ballon sur des terrains vagues. Sur le siège, à côté de moi, un paquet de gaufrettes au chocolat, à peine entamé. Me vient alors l’Élan.
Et si on arrêtait pour offrir ces gaufrettes aux enfants? Ce sont des gaufrettes importées. Peut-être n’en ont-ils jamais mangées? Je m’imagine déjà leur plaisir de croquer dans cette douceur chocolatée.
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Mon conjoint s’y oppose énergiquement: « Tu ne peux pas faire ça. C’est comme leur donner nos miettes. Ça aura l’air d’un geste condescendant. Tu ne connais pas la culture. Ça pourrait les insulter. »
Devant cette analyse qui me semble plausible, je capitule.
Sur le plan intellectuel, les arguments me semblent fondés.
Mais sur le plan émotif, je me rebiffe. Mais voyons, l’intention est pourtant sincère. Pourquoi ces jeunes Cubains (ou leurs parents?) seraient-ils blessés par mon désir de leur faire plaisir?
Finalement, la raison l’emporte sur les sentiments.
L’élan, je l’étouffe.
Et je ne vais pas vers les enfants.
J’ai fini par bouffer moi-même les gaufrettes au chocolat.
Du coup, elles avaient un arrière-goût amer.
***Pourquoi le geste de donner est-il si complexe?
Si chargé?
Si potentiellement dommageable?
Pourquoi l’élan de générosité vers l’autre ne pourrait-il être simple, dénué de sous-entendus ou de l’inévitable rapport de forces?
*** De retour au pays, j’ai raconté cette non-histoire, cet élan avorté, à quelques personnes.
Dans la diversité des réactions, j'ai découvert l’impulsivité des uns et constaté que le rationnel prime chez les autres. En plus, mon conjoint qui me dit qu'il a changé d'idée... qu'on aurait dû offrir les biscuits aux jeunes.
Mais un commentaire m’a vivement interpellé et m’a ouvert une fenêtre.
Ce commentaire m’est venu d’un individu à l’emploi de cet
organisme, donc qui a beaucoup roulé sa bosse dans les pays en développement. Il m’a dit, tout simplement: «Tu aurais dû descendre de la voiture et aller partager les biscuits avec les enfants. »
Partager.
Bien sûr.
Il y a tout un monde entre donner et partager.