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Manifestation d’écoliers d’Ottawa contre le Règlement XVII, printemps 1916. Source: CRCCF. | | | | | | |
Quand on risque de perdre quelque chose qu’on a
toujours tenu pour acquis, ce « quelque chose » devient soudain
précieux. C’est ce qu’ont réalisé les élèves de l’école Ste-Thérèse, le
1er avril dernier. Quant à Jeannine Piette, directrice de l’école,
elle affirme fièrement que son poisson d’avril 2014 sera l’un des hauts
faits de sa carrière en éducation.
Lorsque je me suis
présentée cette semaine à cette petite école primaire de Val Thérèse,
pour une animation d’auteure dans le cadre du
Salon du livre du Grand Sudbury, Jeannine Piette m’a accueillie à l’entrée avec un sourire large
comme la porte, son appareil photo en main, sa fougue non retenue et
son amour du français clairement affiché.
C’est qu’à Sudbury, voyez-vous, le combat pour la préservation du
français est une bataille quotidienne. Et pour Jeannine Piette, c’est
une affaire de famille. Une affaire de toute une vie. Le père de Mme
Piette a combattu le Règlement 17, cette loi tristement célèbre qui a
interdit en 1912 l’enseignement du français dans les écoles de
l’Ontario. « Quand mon père était petit garçon, la religieuse dans sa
classe enseignait en français, mais en cachette. Il y avait toujours en
enfant posté près de la fenêtre, pour avertir l’enseignante si
l’inspecteur arrivait », raconte-t-elle.
Jeannine Piette se souvient de la colère de son père, de sa
détermination à ne pas perdre sa langue maternelle. Et elle veut que les
jeunes Franco-Ontariens d’aujourd’hui se souviennent aussi. Ce
printemps, elle a donc décidé d’organiser un poisson d’avril
inoubliable.
Avec la complicité de toute son équipe enseignante, de la bibliothécaire et même du concierge, la directrice a monté un canular aussi sophistiqué que provocant. Le 1er avril au matin, Jeannine Piette annonce aux élèves que le ministère de l’Éducation de l’Ontario vient d’adopter le Règlement 18, une nouvelle loi selon laquelle l’anglais sera la seule langue permise dans les écoles de la province. Les enseignants devront désormais enseigner toutes les matières en anglais et retirer tous les manuels français de leur classe. Ce matin-là, les élèves sont forcés de chanter le « Oh Canada » en anglais. La directrice annonce ensuite son intention de démissionner, en signe de protestation contre ce Règlement injuste.
Au début, les élèves plus âgés croient qu’il s’agit d’une blague et restent sceptiques. Mais le doute s’installe lorsque la directrice passe dans une classe et dit à l’enseignante qui donnait un test de mathématique : « Vous ne pouvez faire ça, l’inspecteur va vous congédier. Cachez votre test le plus vite possible. »
La mystification atteint son apogée lorsqu’un stagiaire en éducation se fait passer pour un inspecteur du gouvernement et tente « d’arrêter » la directrice de l’école. Les émotions fusent. «Quelques élèves pleuraient, d’autres ont dit qu’ils déménageraient au Québec. D’autres élèves ont fabriqué des affiches et se préparaient à dresser une ligne de piquetage», raconte Jeannine Piette.
Quand on risque de perdre le français, qu’on a toujours tenu pour acquis, le français devient soudain précieux…
Vers la fin de l’avant-midi, la mise en scène a assez duré et les enseignants projettent un poisson sur les tableaux blancs interactifs. Puis la directrice circule dans les classes pour raconter aux élèves les anecdotes que son père lui a transmises sur le Règlement 17.
Minutieusement orchestrée par Jeannine Piette et son équipe, cette mise en scène s’est transformée en une leçon d’histoire percutante, dont les élèves de l’école Ste-Thérèse se souviendront sans doute toute leur vie.