vendredi 20 septembre 2019

Leçon d’écriture 10 – Pour réussir, t'accomplir, t'épanouir... éteins ton Internet!


10 leçons d’écriture
ou
La folle histoire de l’enfantement d’un roman


Voici ma dixième et dernière leçon, la plus importante de tout. Comme toi, je vis entourée d’écrans : ordi, télé, tablette, téléphone intelligent. Et comme un grand pourcentage de la population, je ne cesse de sautiller d’un écran à l’autre. Les chercheurs affirment d’ailleurs que la capacité de concentrer serait la compétence la plus recherchée du 21e siècle.

Tout au long des deux années d’écriture de J’avais tout prévu sauf les bélugas, j’ai éprouvé d’énormes difficultés à concentrer. Au moindre blocage, à la moindre question, je m’évadais sur Internet pour vérifier ceci ou cela. Je cliquais sans arrêt sur ma souris, comme une puce qui a bu trois bouteilles de Coke. Je passais de Twitter à Facebook aux sites de nouvelles et hop, on recommence. Chaque petit détour sur le Web me coûtait un temps précieux pour reprendre le fil de mon récit et retrouver ma concentration. L’Internet était mon plus délicieux divertissement. L’Internet était aussi ma drogue et mon pire ennemi. 



Devant autant d’extrême indiscipline, j’étais frustrée, découragée et déçue de moi-même. Si je ne changeais pas vite ma façon de travailler, il me faudrait 10 ans pour terminer ce roman. Aux grands maux les grands remèdes. J’ai sorti des boules à mites un vieil ordinateur où je n’avais pas d’accès à l’Internet. J’ai installé ce dinosaure sur une petite table dans ma chambre à coucher. J’ai coiffé mes oreilles d’écouteurs antibruit. Je me suis ainsi créé une bulle de silence, loin des clics et des pings, loin du gouffre sans fin d’Instagram.

Petit à petit, ma capacité de concentrer est revenue. Grâce à ce rituel, j’arrivais enfin à travailler en profondeur. Je réussissais à faire 3 ou 4 heures d’écriture par jour, sans interruption. Après un avant-midi dans ma bulle, je retournais dans mon bureau pour répondre aux 202 courriels accumulés et m’évader sporadiquement (et joyeusement…) sur la Toile.

Leçon d’écriture 10: Ici, la leçon d’écriture devient aussi une leçon de vie. Un message que j’aimerais écrire en lettres géantes et hurler dans un mégaphone. Tu veux être un bon auteur, un bon joueur de hockey, un bon guitariste, un bon danseur de tango? Éteins ton Internet de temps en temps! Ceux qui s’épanouissent et s’accomplissent, ceux qui brisent des records, ceux qui jouent joliment du piano, ceux qui courent un marathon ou cuisinent de succulents gâteaux, sont ceux qui savent s'éloigner de leurs écrans.

jeudi 19 septembre 2019

Leçon d’écriture 9 – Sur la puissance et l’importance du titre



10 leçons d’écriture
ou
La folle histoire de l’enfantement d’un roman

Le titre d’un livre, c’est l’hameçon, l’appât, l’irrésistible leurre…Un bon ou mauvais titre peut faire en sorte que ça passe ou ça casse. Avant de publier La plus grosse poutine du monde, je n’avais pas réalisé à quel point le titre était important… et puissant.  De la cinquantaine de livres que j’ai publiés, ce titre est assurément mon plus fort. Je n’ai qu’à dire le titre et sans même avoir vu le livre, petits et grands, jeunes et vieux sont intrigués. Vu la popularité du premier titre, je savais ce que ce serait difficile de trouver un titre aussi accrocheur que la suite…

Au début, mon manuscrit s’intitulait platement Poutine 2. Puis, un beau matin, je me suis réveillée avec un titre en tête : Une suite sans frite. J’aimais la sonorité et l’étrangeté de ce titre. Pendant plus d’un an, j’ai travaillé avec ce titre et l’ai même annoncé à l’équipe de Bayard. Mais quelques semaines avant la publication, j’ai pensé que le mot « suite » dans le titre allait nuire, car tous les acheteurs qui n’avaient pas lu le premier roman n’achèteraient pas celui-ci. Alors que l’histoire des bélugas peut très bien être lue sans avoir lu La plus grosse poutine du monde.  
J’ai donc retroussé mes manches, j’ai remue-méningé et concocté une liste de titres. Puis j’ai testé des idées. Finalement, après de nombreux échanges avec mon éditrice, on a convenu du titre suivant : Trois bélugas, deux babouins et une poutine. Mais la saga n’était pas terminée, l’équipe des ventes de Bayard jugeant ce titre trop long et trop enfantin. Retour à la case zéro. Deuxième remue-méninge. Deuxième liste de titres qui ressemblait à ceci :

Avec le mot poutine dans le titre 
La poutine ne guérit pas tout  
La plus petite poutine du monde
La poutine ne console pas de tout
La poutine n’est pas une aspirine
La poutine n’est pas une vitamine

Avec le mot « du monde » dans le titre, pour faire écho à La plus grosse poutine du monde
L’idée la plus stupide du monde
Le gars le plus triste du monde
Le gars le plus grognon du monde
Le gars le plus seul au monde
Le gars le plus malheureux du monde

Avec le mot béluga dans le titre 
Tout le monde aime les bélugas sauf moi 
Ma mère, les bélugas et moi 

Titres portant sur la relation de Thomas avec sa mère
Ma mère dit qu’elle n’a pas d’enfant 
Recette pour engueuler sa mère
Ce qu’il faut faire pour bien engueuler sa mère…
Quand ta mère te raccroche au nez…
Mon père est nul, ma mère encore plus

Titres qui mettaient l’accent sur les tourments de Thomas
Comment perdre ses amis et ne pas trouver sa mère…
Heureux comme un chat qui se noie 
Le bonheur n’est pas au coin de la rue…
Quand ta bouche a oublié comment sourire…

Finalement, mon éditrice (merci Sylvie!) m'a proposé cette idée : J’avais tout prévu sauf ça. J’ai peaufiné et le titre final a enfin été adopté : J’avais tout prévu sauf les bélugas. Toute une saga!

Leçon d’écriture 9 : Avoir un bon titre est crucial, primordial, fondamental! Dresse des listes, consulte, test. Assure-toi que ton titre se lit comme un irrésistible hameçon pour accrocher tes futurs lecteurs.

mercredi 18 septembre 2019

Leçon d’écriture 8 - Ne pas avoir peur de la poubelle


10 leçons d’écriture (une par jour)
ou
La folle histoire de l’enfantement d’un roman


Décembre 2018
Je dois déposer le manuscrit de mon roman chez Bayard dans quelques semaines. Tandis que je vogue sur les mers houleuses de la réécriture finale, je garde ma poubelle (la vraie et la virtuelle) tout près de moi.

Au fil de mes nombreuses relectures, je remets tout en question. Tout. À commencer par l’intrigue. Y a-t-il des trous dans mon histoire? Le suspense est-il assez soutenu? Est-ce que mon personnage se transforme entre le début et la fin? Tiens, j’en profite pour rajouter une anecdote comique sur les ricochets. Ça rendra Thomas plus sympathique. Je m’attarde longuement sur les dialogues. Parfois, les personnages parlent en bébé et d’autres fois, ils parlent trop littéraire. Révise Andrée, révise.

Le rythme de l’histoire me semble varié, assez rapide. Sauf pour le chapitre 12 qui a des longueurs, trop de descriptions et pas assez d’action. Le plus douloureux, c’est de couper dans les passages sur les bélugas, parce que toute l’info me semble fascinante et importante. Mais je dois avouer que ces deux gros mottons de facture documentaire freinent la fluidité du récit. Bistouri Andrée, bistouri. 



Côté style, je traque les clichés avec un œil d’aigle. Oh! En voici un! Poubelle Andrée, poubelle. Je voudrais davantage d’images fortes, plus de poésie dans ma prose, mais il est minuit moins une et je n’ai plus beaucoup d’énergie pour chercher les figures de style. Moi qui ne jure que par les phrases limpides et fluides, voilà que je tombe sur plusieurs passages raboteux. Retouche Andrée, retouche.

Pour la finale maintenant. 10 fois, 20 fois je la reprends. J’hésite entre divers dénouements parce que je souhaite une conclusion percutante, satisfaisante, pas kétaine et bourrée d’émotions. Réécris Andrée, réécris.

Quand j’en ai ras le bol des révisions, je me répète cette phrase de Roald Dahl : « Au moment où j’approche de la fin d’une histoire, la première partie aura été relue et modifiée et corrigée au moins 150 fois. Je me méfie et de la facilité et de la rapidité. Bien écrire, c’est essentiellement réécrire. Je suis certain de cela. » affirmait l’auteur de Mathilda.

Après de nombreuses réécritures, le cœur battant, j’expédie le manuscrit à mon petit cercle de critiques-lecteurs : 2 classes de 6e année avec des profs très dynamiques, le GREMM pour le volet béluga, ma sœur, ma belle-sœur et une amie auteure. C’est la première fois que mon histoire sera lue. Tout ce beau monde me fait des commentaires, suggestions, critiques, ce qui me relance dans une nouvelle ronde de révisions. Mais la fin du marathon approche et je redouble d’énergie. Je ne sens plus l’essoufflement, mais plutôt l’enivrant parfum de la ligne d’arrivée, le moment où j’écrirai enfin le mot FIN.

Leçon d’écriture 8 : Fais lire ton texte par un ami et demande-lui, non pas des compliments, mais des critiques constructives. N’aie pas peur de la poubelle. C’est ton alliée, ton amie. Dès que tu vois un mot de trop, une phrase emberlificotée, un paragraphe qui ne tient pas la route, coupe! Coupe! Arrache la mauvaise herbe de ton récit : c’est la meilleure façon de le fortifier. Tes lecteurs te diront merci.

mardi 17 septembre 2019

Leçon d’écriture 7 - Gérer les montagnes russes de la motivation



10 leçons d’écriture (une par jour)
ou
La folle histoire de l’enfantement d’un roman


Septembre 2018
J’ai 150 pages de manuscrit qui s’empilent sur ma table, mais il reste encore de gros trous dans l’intrigue et la finale est boiteuse. Mon texte regorge de répétitions, de clichés et de dialogues ronflants. Ma réécriture traîne de la patte et l’essoufflement m’accable.

Parfois, après une phrase bien tournée ou une image un tantinet originale, je jubile et m’exclame : il va être bon ce roman, il va être bon! Mais pour chaque petit moment d’excitation, j’ai 52 moments de doutes écrasants. L’histoire de Thomas, de sa mère fuyante et des bélugas en voie de disparition, qui me semblait si excitante au départ, me semble maintenant aussi excitante qu’un bilan financier.

Verte de jalousie
Le matin, je me lève à reculons pour m’installer à contrecœur devant mon écran. Une amie auteure me raconte qu’elle écrit pendant des heures et qu’elle en oublie de manger. Je verdis de jalousie. Moi, je vogue entre les jours où l’écriture coule comme de la mélasse en hiver et les jours où je suis convaincue d’être en panne pour toujours.

J’ai envie de me transformer en patate de sofa et de me perdre dans Netflix pour des heures et des heures, en mangeant des Joe Louis et des chips au ketchup. J’ai envie de tout sauf d’écrire. 


Everest inatteignable
Assise à mon clavier, j’arrive mal à faire taire cette voix irritante qui répète le même refrain : pas capable, pas capable… pas capable. Même avec mes coquilles sur les oreilles, je n’arrive pas à me donner un coup de pied dans l’arrière-train. Ma motivation vacille, mon humeur oscille entre le j’en-peux-plus et le je-ne-veux-plus. Terminer ce manuscrit me semble un Everest totalement inatteignable.

Le cliché de l’écrivain dont la main court sur le papier tandis que de jolies phrases jaillissent de sa plume en un bouquet coloré, eh bien, cette image est le plus gros des mensonges. Écrire un roman, c’est rarement romantique, méthodique ou harmonieux. Non, le processus créatif se déroule dans la confusion et le cafouillis, avec moult bafouillements, reculades et frustrations.

Leçon d’écriture 7 : Pour un écrivain, la persévérance compte autant que le talent d’écriture. Ah non, que tu me réponds. Pas encore le mot persévérance, ressassé, usé, utilisé à toutes les sauces et dans tous les sermons. Désolée, mais la persévérance est ici aussi indispensable qu’incontournable. Trouver 1001 excuses pour ne pas écrire? Très facile. Trouver 1001 trucs pour préserver son élan et son désir d’écrire? Pas facile. Si tu veux écrire, il te faut apprendre à gérer les montagnes russes de la motivation.

lundi 16 septembre 2019

Leçon d’écriture 6 - Faire confiance au lecteur




10 leçons d’écriture (une par jour)
ou
La folle histoire de l’enfantement d’un roman


Juin 2018
Peut-être que dans une vie antérieure, j’ai été maîtresse d’école? J’ai en moi ce réflexe agaçant de vouloir expliquer, enseigner, donner des leçons (ce n’est pas un hasard ces 10 leçons d’écriture…)! Mais un auteur qui se prend pour un professeur signe son arrêt de mort.

Malgré une cinquantaine de livres publiés, j’ai encore un déplorable tic d’écriture : la fâcheuse tendance à tout expliquer. Pourtant, c’est la toute première règle enseignée dans un cours d’écriture : « Show, don’t tell ». Montrer plutôt qu’expliquer.

Celui qui a démontré le plus clairement cette technique est mort depuis plus de 100 ans. Dans les mots d’Anton Tchekov : « Ne me dites pas que la lune brille. Montrez-moi le reflet de sa lueur sur un verre brisé. »

Quand l’auteur montre au lieu d’expliquer, il laisse le lecteur se faire une image mentale d’une scène, d’une émotion. Le lecteur est ainsi plus actif, peut davantage entrer dans le récit et stimuler son imagination pour arriver à ses propres conclusions.

Voici un exemple tiré de J’avais tout prévu sauf les bélugas. Au début, je suis dans l’explication, avec cette phrase : « Thomas est frustré d’être malheureux. » Après révision, je m’efforce plutôt de montrer, avec cette phrase qui veut dire la même chose : « Est-ce qu’un jour il va finir par faire beau dans ma tête? »

Outre ma tendance à faire trop didactique, j’ai une autre mauvaise habitude : celle de faire la morale. Les jeunes – justement parce qu’ils sont jeunes – entendent sans cesse des adultes leur dire : Ça c’est bien, ça c’est mal, ne fais pas ceci ou cela, etc. Si en plus, les jeunes doivent se taper des sermons d’auteur dans un roman, ils vont vite refermer le bouquin et s’enfuir vers YouTube.

Dans la suite de La plus grosse poutine du monde, Samuel décide de sauter du toit de l’école. Au premier jet, j’ai mis un long discours de la directrice d’école sur le danger d’un tel acte. À la relecture, j’ai coupé, pour laisser les lecteurs tirer leurs propres conclusions.

Leçon d’écriture 6: Un roman, ce n’est pas un manuel de l’apprenti conducteur. Pas besoin de tout expliquer. Fais confiance à ton lecteur. Évite de moraliser. Laisse-lui le plaisir de lire entre les lignes.

dimanche 15 septembre 2019

Leçon d’écriture 5 – Si le lecteur n’aime pas ton personnage, c’est foutu



10 leçons d’écriture  (une par jour)
ou 

La folle histoire de l’enfantement d’un roman

Janvier 2018

Si Harry Potter n’était pas aussi courageux, ingénieux, loyal et tenace, personne n’aurait envie de lire les milliers de pages sur la vie de cet enfant magicien. Oui, les lecteurs veulent admirer le héros d’un roman. Mais si les personnages sont trop parfaits, le récit va en souffrir. Quand je lis un roman, rien ne m’agace plus qu’un personnage beau, bon, intelligent, élégant, qui mange toutes ses carottes et repasse ses bobettes tous les matins. Les personnages parfaits ont un gros défaut : celui d’être trop parfaits.

J’ai donc pris bien soin de donner plusieurs défauts au héros de
J’avais tout prévu sauf les bélugas. Thomas est gourmand, un peu jaloux, parfois colérique et tout à fait incapable de faire des ricochets. Petit à petit, tout se détraque dans la vie de Thomas, ce qui le rend amer et bougon. Son meilleur ami lui dit d’ailleurs qu’il a des chances d’avoir le record Guinness du gars le plus grognon du monde.

En me relisant, le doute m’assaille. Est-ce que j’ai trop forcé sur le côté ronchon de Thomas? Dans mon souci de créer un héros pas parfait, est-ce que je l’ai rendu antipathique au point où mes lecteurs décrocheront?


Pour que le lecteur soit captivé par tes personnages, il ne faut pas qu’ils soient clichés, unidimensionnels ou sans profondeur. Et surtout pas statiques.  Dans mon dictionnaire à moi, statique est synonyme d’ennuyeux. Les personnages doivent donc évoluer, se transformer au fil du récit, à l’extérieur comme à l’intérieur. Au début de mon récit, Thomas est malheureux pour deux, ce qui le rend cynique. Il trouve que les bélugas sont juste de gros poissons blancs avec des bourrelets, une bosse sur le front et un sourire stupide. J’ai posé les jalons pour que le lecteur ait envie de voir Thomas changer d’attitude, aller vers la joie plutôt que la colère. L’espoir de voir le héros résoudre son problème, que ce soit tuer Voldemort ou égorger le Grand Méchant Loup, voilà ce qui nous fait tourner les pages d’un livre.  

Leçon d’écriture 5:  Évite les personnages parfaits. Ils ne sont pas authentiques et tapent sur les nerfs. Assure-toi qu’entre le début et la fin de ton histoire, ton personnage change. Il peut changer un petit peu, moyennement ou beaucoup, mais il doit évoluer pour que la finale réjouisse ton lecteur et lui fasse pousser un petit soupir de satisfaction.