vendredi 22 janvier 2010

À mon éditrice consciencieuse, minutieuse, généreuse et… funambule!



Vous écrivez pour communiquer aux cœurs et aux esprits des autres ce qui brûle à l’intérieur de vous. Nous (les directeurs littéraires) éditons vos manuscrits pour mieux montrer le feu à travers la fumée. » Arthur Plotnik, éditeur et auteur.

Comme je l’ai dit cette semaine, un livre ne se fait pas tout seul. Et s’il y a une personne qui peut avoir une influence, parfois minime, parfois importante, parfois énorme, sur la qualité d’un livre, c’est la directrice littéraire. Ou l’éditrice. Chez certains éditeurs, la même personne porte les deux chapeaux. C’est le cas chez Québec Amérique, où j’ai le privilège et le plaisir de travailler avec une éditrice jeunesse épatante: Marie-Josée Lacharité.

Avant de vous raconter tous les chambardements, altérations et mutations que Marie-Josée a provoquées sur mon récent manuscrit, commençons par quelques considérations théoriques sur le métier de directeur littéraire. Je sais un peu de quoi il en retourne, puisque j’en ai interviewé plusieurs dans un article pour la revue Lurelu, il y a quelques années.

Pour l’écrivain qui dépose un manuscrit, le directeur littéraire fait figure de St-Pierre à la porte du paradis. Il détient la clé qui ouvrira la porte à ce paradis tant désiré, tant attendu: la publication. Une fois que la Grande Décision a été prise (celle de publier), le directeur littéraire se transforme en funambule, pour se lancer dans cette démarche acrobatique et complexe: la révision du manuscrit. Il devra avancer tout en étant à la recherche constante de l’équilibre délicat entre la critique du manuscrit et le respect de l’œuvre. Il devra stimuler l’auteur tout en lui mettant ses défauts d’écriture sous le nez, afin qu’il les corrige. Le directeur littéraire devra encourager la créativité et l’originalité, tout en publiant des livres qui vont rapporter de l’argent. Pas évident.

La révision de manuscrit est un exercice réussi dans la mesure où l’auteur démontre sa capacité de bien accepter la critique et que le directeur littéraire démontre sa capacité à bien livrer une critique pertinente. Conseiller, critique et coach, le directeur littéraire est l’éminence grise du travail d’édition sur un livre. Important, incontournable, mais invisible aux yeux du grand public. Il travaille dans l’ombre, mais par son appui subtil, ses conseils judicieux, sa maîtrise de la langue, sa culture littéraire, sa connaissance du marché, il peut contribuer à transformer un manuscrit ordinaire en roman extraordinaire.

« C’est un métier qui exige de grandes qualités intellectuelles et humaines. Ça prend une sensibilité littéraire, mais aussi une intelligence du cœur, de l’âme. Comme le directeur littéraire travaille dans l’ombre, ça prend aussi de l’humilité pour faire ce travail», me disait cet écrivain en entrevue, dans le cadre de mon article pour Lurelu.

Il m’est arrivé de lire sur des blogues comment d’autres directrices littéraires (car souvent, en littérature jeunesse, ce sont des femmes qui occupent ces postes) s’investissaient dans un manuscrit. Cette éditrice américaine, entre autre, qui a supervisé l’édition américaine de Harry Potter, raconte avec moult détails sur son blogue comment elle travaille un manuscrit avec « ses » auteurs. Il m’est arrivé de les envier ces auteurs. D’avoir envie qu’on donne à mes manuscrits toute cette attention et tout ce bichonnage.

Mais dans le cas du manuscrit de Miss Pissenlit, je ne peux pas, mais vraiment PAS me plaindre. Je n’ai droit à aucune jérémiade, même pas à la plus petite doléance. Car j’ai bénéficié d’une direction littéraire du tonnerre. Zélée, minutieuse, respectueuse, consciencieuse, etcétéra. C’était beaucoup. Plus que j’aurais jamais osé en demander. Plus même que j’aurais jamais osé en rêver.

Je sais que certains auteurs n’aiment pas une direction littéraire trop interventionniste, trop dirigiste, trop encadrante, trop présente. Ce n’est pas mon cas. Éternelle insécure, j’ai un appétit insatiable pour les commentaires et les révisions. Amenez-en des suggestions, à pleines pelles, à plein char, j’en veux.

Pour le manuscrit de Miss Pissenlit, l’aventure de la révision a commencé tout doucement. Peut-être parce que Marie-Josée a lu pour la première fois le manuscrit en juillet, de son chalet… Alors les premiers commentaires de mon éditrice étaient parsemés, assez indulgents même. Quelques indications très pertinentes, mais pas trop. Une révision à la manière d’une bière légère. J’étais soulagée (après tout, je ne suis pas si maso… je voulais que le manuscrit soit accepté) mais un peu mal à l’aise. Comment? Y’avait rien de plus à corriger?

Mais comme je l’ai dit, on était en juillet. Et je n’avais encore rien vu du zèle et de l’énergie de Marie-Josée Lacharité. Et je ne perdais rien pour attendre. Si vous aviez vu les annotations sur les deuxième et troisième versions du manuscrit. MamaMia!

La somme de travail investie par mon éditrice a été énorme. On parle de dizaines d’heures à relire un manuscrit de 68 000 mots, environ 200 pages, à double interligne. Marie-Josée en a fait trois - TROIS – lectures, sérieusement et rigoureusement commentées. Pour vous donner une idée de ses annotations, voyez la page ci-dessus. Et elles étaient presque toutes comme ça!!!

À chaque nouvelle version que je recevais, je n’en revenais pas de voir tout le temps et l’énergie que Marie-Josée mettait à commenter une histoire inventée (la mienne!), des personnages imaginaires (les miens!). J’avais presque l’impression que mon roman ne méritait pas tant que ça. Ce manuscrit que j’avais porté (pour ne pas dire traîner) pendant tant d’années était bien évidemment très important pour moi. Mais il semblait l’être aussi pour mon éditrice! Quel plus beau cadeau peut-on faire à une auteure?

Je ne vais pas vous raconter dans le menu détail tout ce que Marie-Josée m’a fait faire… on serait ici jusqu’à Pâques… Mais je vous en donne quand même un échantillon (voyez, je n’ai aucun orgueil…). La description qui suit pourrait avoir l’air de la vulgaire flagornerie ou d’un numéro de « têtage » éhonté, mais là n’est pas du tout (hhum) mon intention. Je vous raconte ça pour quatre raisons :
1-Pour votre culture personnelle.
2-Pour vous montrer à quel point il y a des gens passionnés et engagés dans le milieu du livre.
3-Pour les lecteurs qui lisent ce blogue, afin qu’ils aient un aperçu de la somme de travail énorme qui se cache derrière un roman.
4-Pour les auteurs qui lisent ce blogue, ça vous fait, comme ça, mine de rien, une petit cours d’écriture (gratuit en plus).

Ce que Marie-Josée m’a amenée à faire sur le manuscrit de Miss Pissenlit:

Pour la vision d’ensemble (the big picture):
-Ayant du recul (ce que je n’avais plus après 15 ans de réécriture…) et une vision fraîche du manuscrit, ma directrice littéraire m’a fait ressortir plusieurs maladresses au niveau de la structure, de la logique, de l’équilibre et de l’écriture.
-Elle m’a incité à aller plus loin dans mon texte, autant au niveau du style et des idées.
-Habile, elle est même arrivée à me faire accepter certains points que je n’avais pas vraiment envie d’entendre.
-Elle a très bien su (on dirait qu’elle a un instinct) sur quels éléments elle devait se montrer conciliante et sur quels points elle ne devait pas céder.
-Elle n’a pas essayé de me faire réécrire le livre à sa façon.
-Elle a fait preuve d’une généreuse patience et a tenu compte des mes états d’âme d’auteure.

Pour le détail (the little picture) :
-Elle m’a demandé de couper 30 pages. Trente!!!! Vous vous rendez compte! Aussi bien m’amputer un bras. J’ai coupé. Je ne sais pas si j’ai coupé trente pages mais j’ai beaucoup coupé. Et j’avoue, sans fausse honte, que le texte resserré est plus convaincant et que ce découpage plus serré a permis d’augmenter le suspense.
-Elle a pourchassé les clichés, débusqué les incohérences, délogé les maladresses et dégagé les perles.
-Elle m’a répété souvent (et avec raison) que j’avais tendance à tout expliquer et que je ne devais pas sous-estimer mes futurs lecteurs ados, que je devais faire honneur à leur intelligence et les inciter à chercher eux-mêmes les réponses laissées en suspens.
-Elle a repéré toutes les chutes et fin de chapitres qui étaient faibles.
-Elle m’a souligné certains points sur l’évolution psychologique (et la cohérence) des personnages.
-Elle a déniché les éléments de l’intrigue qui ne tenaient pas la route.
-Elle m’a incité à rebaptiser de nombreux sous-titres, car ils vendaient le punch.
-Elle a fait une vérification minutieuse de la ligne de temps et de la chronologie des événements dans mon histoire.
-Et quand elle m’a écrit : ta finale est « écoeurante» (lire fantastique), je sautillais de fierté.

Dans un de ses messages qui accompagnait l’une des versions annotées de mon manuscrit, Marie-Josée m’a écrit au sujet des révisions: «On va y mettre le paquet.» Et elle a tenu parole. Elle a consacré des heures et des heures à mon roman, souvent après ses heures de travail. Avec une générosité fabuleuse, elle a mis sa propre énergie créatrice au service de mon roman.

Les éditrices travaillent dans l’ombre et si le livre jouit d’un certain succès, c’est l’auteur qui a la gloire. Je ne sais pas si Miss Pissenlit aura du succès mais ce dont je suis certaine, c’est qu’il serait moins achevé si mon éditrice n’y avait pas consacré autant de temps et d’attention. Il n’y a pas 50 000 façons de dire merci, alors Marie-Josée, je te dis simplement : merci. Multiplié par 50 000.

mercredi 20 janvier 2010

Ce que mes lecteurs m’apprennent



(Miss Pissenlit, en librairie en avril)

Le mythe de l’écrivain solitaire et génial est justement ça : un mythe. Idéalement, et dans bien des cas, l’auteur s’entoure. D’amis, de collègues, de lecteurs bien intentionnés, zélés et serviables, qui lui soulignent gentiment, diplomatiquement (parfois avec un franc parler rafraîchissant…) ses maladresses, faiblesses et autres ratages… ainsi que ses bons coups.

J’ai testé le manuscrit de Miss Pissenlit auprès d’une quinzaine de lecteurs. Un nombre assez important pour moi, qui d’habitude fait lire mes manuscrits par 3 ou 4 personnes.

En général, on garde les remerciements pour la fin, mais j’offre les miens d’entrée de jeu, car ce billet s’étire en longueur et au cas où certains lecteurs (surtout ceux qui ont commenté mon manuscrit) ne me liraient pas jusqu’au bout, ils sauront au moins que je les remercie chaudement.

Grâce aux judicieux commentaires de mes lecteurs sur le manuscrit de Miss Pissenlit, j’ai ri, j’ai appris, j’ai réfléchi, j’ai corrigé plusieurs bourdes et rectifié quelques fausses manœuvres. Bref, j’ai amélioré mon roman. À vous tous mes lecteurs, milles mercis pour votre temps, vos suggestions et avis, vos critiques (surtout!) et vos bons mots pour mes mots.

Je les ai tous remerciés personnellement mais je le fais ici un peu plus publiquement. Merci à Catherine B., Simon B., Louise D., Nicholas D., Frédérique F., Mariluc G-P, Sophie K., Marie L., Josée L-P, Julie L., Neale M., Julianne P., Martine P., Roy P., Charlotte P.-M, Dominique P., Pauline P., Paule S-C, Simone S-P et Kim T.


Petite autopsie de ce que mes lecteurs m’ont appris

Toutes ces erreurs débusquées
Ils sont super, mes lecteurs, pour débusquer les erreurs, les illogismes qui se terrent au détour d’une phrase ou au fin fond d’un chapitre. Par exemple, on m’a très vite signalé ma faute dans les premières lignes de la prière du Notre-Père... Quatre lecteurs sur quinze ont remarqué que mon héroïne lançait ses mitaines au sol... et que je disais, trois paragraphes plus loin, qu’elle enlevait ses mitaines. Mais ma mère avec son œil de lynx, est la seule qui a remarqué qu’une blonde au début du roman avait soudain des cheveux noirs à la page 73. Oups.

Conseils contradictoires
Qu’est-ce qu’on fait avec les conseils contradictoires des lecteurs? Surtout quand ils sont aussi fermement convaincus, aussi ardemment articulés, d’un côté comme de l’autre? On soupèse le pour et le contre et on tranche la poire en deux…

Bon, il y a eu ma sœur qui me disait, rajoute plus de sexe dans ton roman et ma mère qui m’a écrit « attention aux allusions sexuelles ».

Et que dire des points de vue opposés sur la finale de mon roman? Ohlala, la finale! Personne ne l’a aimée. Les adultes m’ont dit: tu essaie trop de tout expliquer et ne laisse pas assez de place à l’interprétation du lecteur. Les ados, par contre, en voulaient plus dans la finale. Plus d’infos, plus de détails, plus de « et après… » Comme s’ils voulaient que l’histoire continue et que je leur raconte les dix prochaines années de mes personnages. J’ai pris ça comme un compliment.

Les amputations qui font le plus mal
Je ne suis pas de ces auteurs qui chipotent parce qu’on veut leur couper une virgule ou faire sauter un adjectif. Je suis en général assez ouverte à sabrer dans le texte si ça peut l’améliorer. Mais en faisant la recherche pour ce roman, je suis devenue une spécialiste des pissenlits. Tout de recherche, tant d’informations si laborieusement et si amoureusement recueillies sur cette fleur fascinante… Et à peu près tout le monde m’a dit : coupe! Coupe! Y’en a trop sur le pissenlit. À grands regrets, je me suis résignée à couper… mais quelle douloureuse amputation.

Autre suppression qui m’a beaucoup fait souffrir: les mots recherchés et raffinés, les mots plus rares et inhabituels. Plusieurs lecteurs – trop hélas – m’ont dit qu’il fallait simplifier le vocabulaire puisque le livre s’adressait aux ados. Et comme la narratrice de Miss Pissenlit a 15 ans, plusieurs lecteurs m’ont souligné qu’elle ne s’exprimait pas dans un langage d’ados. Et la prof d’université de m’admonester gentiment: «Tu fais très didactique à toujours expliquer tes gros mots. Laisse-les inférer un peu. »

J’ai donc remplacé inertie par inaction, j’ai dit que mon personnage avait l’air constipé plutôt que l’air guindé, qu’une autre était soumise plutôt que servile… J’ai fait disparaître: esclandre, perfide, narguer, balourd, placide, etc.

Je sais, je sais, la beauté se trouve aussi dans la simplicité, mais j’y tenais à mes mots sophistiqués. J’en ai quand même biffé une tonne en maugréant. Et je me suis juré que pour le prochain roman, j’aurais un narrateur omniscient, qui pourrait utiliser tous les grands mots inimaginables. Et ça m’a donné envie d’écrire pour les adultes…

Quand l’amitié transparaît
Une des lectures commentées de mon manuscrit qui m’a le plus touchée est celle de ma grande et vieille amie. En fait, elle n’est pas si vieille cette copine, c’est notre amitié qui a de l’âge. Ses commentaires étaient pertinents, utiles, drôles aussi, mais ce qui m’a le plus ému, c’est que j’y ai senti son amitié.

Devant l’une de mes phrases, pompeuse et aussi naturelle qu’un bloc de béton, elle m’a tout simplement écrit dans la marge : Euh… Ça disait tout. J’ai aimé sa façon comique et délicate d’attirer mon attention sur mes incohérences : « S’cuse mais elle ne vient pas juste de les descendre au salon les statues? »

Cette grande chum, avec qui je partage une passion pour le chocolat, m’a même laissée dans le manuscrit des traces de pépites de chocolat. J’ai interprété ça comme un encouragement. Et finalement, à la fin d’un passage où j’avais tenté de mettre de l’émotion, mon amie m’a mis ce mot qui m’a fait palpiter de joie: «Je pleure comme une vache qui a une conjonctivite. »

Les commentaires qui m’ont fait danser devant mon écran

Après ma description d’un souper entièrement composé de plats aux pissenlits, plusieurs lecteurs m’ont écrit: « Mmm ça donne faim. » Une lectrice de 15 ans, Kim, qui m’écrit : « Oh mon dieux (sic) mon cœur bat vite » avec trois points d’exclamation. Ou ces petites annotations de Simone qui a noté toutes mes allitérations. Au moins ça valait la peine de fouiller dans mon dictionnaire de rimes. Ou ce commentaire de ma fille aînée : « Je n’ai pas fait beaucoup de commentaires dans les dernières pages parce que j’étais trop concentrée dans ma lecture. »

Les commentaires qui m’ont fait rire
Charlotte qui m’écrit au sujet des bobettes fluos : « C’est cool. Tu l’as inventé ou ça existe vraiment? » Oui, ça existe vraiment des sous-vêtements qui reluisent dans le noir.

Ma mère qui me dessine des petits bonhommes avec une moue très prononcée vers le bas, pour me dire qu’elle n’aimait pas telle phrase ou tel passage. Julie, avec son œil de lynx et ses réflexes de réviseure professionnelle qui m’a souligné implacablement les anglicismes, en me précisant qu’on ne mastiquait pas du gâteau mais de la viande.

Et j’ai souri aux commentaires de Sophie, une bibliothécaire, qui ne s’est pas du tout offusquée des pitreries de mon personnage de bibliothécaire. « Hommage ou raillerie envers les vieux bibliothécaires, même si j’en suis une je me suis délectée de ce passage. Il y a beaucoup de gens qui voient encore les bibliothécaires de cette façon surtout dans un petit village perdu… » écrit-elle.

Marie, une enseignante du secondaire, qui se demandait s'il était approprié de mettre le mot orgasme dans cette histoire. Après quelques tergiversations, j'ai enlevé le mot dangereux... Cette même Marie qui trouvait que l’accouplement des chiens lui semblait durer plutôt longtemps dans l’histoire. Sur ce point, j’ai fait une recherche sur Internet mais n’ai rien trouvé. Combien de temps est-ce que les chiens s’accouplent? Cinq minutes? Quinze minutes? Si quelqu’un a une réponse, prière de me l’indiquer.

Les commentaires qui m’ont fait apprendre des choses
-Martine, qui est maintenant prof d’université mais qui a été fermière dans une autre vie, avait un œil de lynx pour tout ce qui a trait à la vie à la ferme. Elle m’a fait enlever le cochon de l’histoire, car à son avis, un producteur laitier n’aurait pas de porc sur sa ferme, pour éviter la contamination.
-J’ai aussi grandement enrichi mon vocabulaire sur la merde. J’ai appris qu’il ne fallait pas dire purin de vache, car le purin c’est seulement pour les porcs. Et qu’il ne faut pas dire crottin pour les vaches, car le crottin c’est pour les chevaux. Il faut dire bouse.
-J’ai même découvert qu’il y avait un nom précis pour la maladie mentale dont souffre un de mes personnages: la schizophrénie religieuse.
-Moi qui ai fait six ans de piano et joué de la clarinette pendant quatre ans dans l’harmonie de mon école secondaire, j’ai appris qu'octave est un mot féminin.

Ce que j’ai appris sur mes proches
Les commentaires de mes lecteurs sont révélateurs de qui ils sont. À travers leurs impressions, j’ai appris à connaître un peu mieux leurs goûts, leurs aversions, leurs bibittes, ce qui les excite et ce qui les irrite.

Ce que j’ai appris sur moi-même
-Que la critique enrichit (je le savais déjà mais je le re-découvre à chaque nouveau manuscrit).
-Que j’ai parfois la couenne trop fragile… ça donne quoi de geindre sur une critique qui pique plus que les autres? Aiguise ta plume Andrée et va réparer la maladresse.
-Que je dois avoir la couenne assez épaisse, puisque je survis à la critique et que je continue de la solliciter.

À venir vendredi: Et ma directrice littéraire dans tout ça? Ben, c’est juste mon éminence grise, mon ange-gardien, mon faire-valoir, mon aiguillon et mon stimulant, tout ça et plus encore.

dimanche 17 janvier 2010

Devant la critique: oublier son égo



"Writing is rewriting."

Indécrottable curieuse, je suis toujours fascinée par ce qui se passe derrière le rideau (au théâtre), dans la cuisine (du restaurant), derrière la scène (d’un concert). Même chose pour les livres. Chaque fois que c’est possible (par le biais d’entrevue ou de rencontre d’auteur), je suis toujours fascinée de connaître l’histoire derrière l’histoire. Comment l’auteure a écrit son livre, ses recherches, ses enthousiasmes et ses embûches, ses détours et ses détresses, ses refus et recommencements, etc. La mécanique de l’écriture m’intéresse, autant comme lectrice que comme auteure. Et aussi comme observatrice de la nature humaine, car la façon dont se déroule l’aventure de l’écriture nous en dit long sur celui qui écrit… Le temps de quelques billets sur ce carnet, je vous entraîne dans mon arrière-scène.

Je viens de terminer un roman que j’ai commencé en 1991 (ouille!). Je ne fracasserai aucun record de vitesse avec celui-là. C’est un roman pour ados, mon plus long texte à ce jour. Il a avancé par à-coups, passant parfois de longues périodes (lire années…) à s’empoussiérer sur une tablette. Interminable valse-hésitation, passée à sortir cette histoire, la redécouvrir, l’épousseter et m’y remettre.

Dix-huit ans sur le même roman! Y’a pas de quoi pavoiser. Bien sûr, j’ai écris et publié une vingtaine de livres et d’albums pendant ces années, mais celui-là, celui-là, je n’arrivais pas à le terminer. Pour un tas de raisons qui s’appellent paresse, procrastination, manque de concentration, tendance à l’éparpillement…

Durant toutes ces années, ce manuscrit inachevé m’a nargué. Me criant silencieusement que je n’avais pas la discipline, ni la détermination, ni l’endurance pour terminer un roman de cette longueur. Si ce n’avait été de la bourse d’écriture que j’ai eu de cette vénérable institution, je crois que je l’aurais balancé à la poubelle.

Mais bon, après moult faux départs, après d’innombrables atermoiements, j’ai fini par la finir cette histoire qui s’entêtait à me tourner dans la tête et à troubler ma conscience…

Une fois le manuscrit terminé (un roman n’est jamais terminé… on pourrait le retravailler à vie mais bon, faut finir par le laisser aller…) je l’ai soumis à mon éditrice, qui l’a accepté. Fiou.

Ce manuscrit aura donc, après tout (et malgré tout) une vraie vie de livre. Il sera publié ce printemps sous le titre de Miss Pissenlit.

Mais un livre ne se fait pas tout seul. Je vous raconte.

J’ai la chance et le privilège d’avoir quelques lectrices fidèles (elles sont 4 ou 5) à qui je soumets toujours mes manuscrits avant de les présenter à un éditeur. Elles lisent et me font des commentaires pertinents qui me permettent d’améliorer le texte. Cette formule du « critique group » ou encore du « writing group » est très populaire aux USA, mais semble beaucoup moins présente au Québec. Comme si on avait une pudeur à se faire lire avant d’avoir publié, alors que c’est justement avant de publier qu’on a le plus besoin de commentaires critiques.

Pour Miss Pissenlit, comme il s’agissait de mon premier roman pour ados, j’ai décidé de procéder autrement. Le manuscrit a été accepté durant l’été par Québec Amérique et d’ores et déjà, je savais que j’avais devant moi un travail de ré-écriture. Alors avant de commencer la ronde des révisions, j’ai imprimé une quinzaine de copies du roman que j’ai distribuées dans mon entourage. À ma mère, mes sœurs, des amies, des connaissances, des ados, des amis d’amis.

J’ai attendu leurs réactions/suggestions avec moult palpitations. Jamais je n’avais été aussi nerveuse, aussi craintive de la réception d’un de mes textes. Peut-être à cause de la somme de travail investie? Peut-être parce que j’en parlais depuis si longtemps que j’avais suscité des attentes? Peut-être parce que je devais y faire la preuve que je pouvais (ou non?) écrire des textes plus longs, plus complexes, plus ambitieux… J’avais mis tellement de temps à accoucher de ce roman que j’avais très peur que mes lecteurs se disent: « Hein, ça lui a pris 18 ans a écrire ça…. rien que ça… »

En lisant leurs commentaires annotés sur mon manuscrit, je suis passée par toute la gamme des émotions. Gêne. Reconnaissance. Plaisir. Honte. J’ai eu l’impression d’avoir réussi quelques bons coups. J’ai eu l’impression d’avoir autant de talent pour l’écriture qu’un macaque. Me suis sentie très bien comprise et parfois tout à fait incomprise.

Quand on demande aux autres de nous lire et d’être francs dans leurs commentaires, il faut mettre de côté son égo. Quand une ado de 15 met dans la marge un cinglant « kétaine! »…. Ouch! On avale, on rougit et on se sent toute petite dans ses godasses de gratte-papier. Je ne dis pas que cette ado l’a écrit de façon cinglante, mais je l’ai perçue de cette façon-là. Dur, dur pour l’orgueil.

Le plus ironique, ou devrais-je dire le plus paradoxal, c’est qu’en lisant les commentaires sur mon manuscrit, j’oscillais constamment entre la gratitude et le sentiment de persécution. Quand mes lecteurs étaient trop indulgents ou trop louangeurs, je me disais: « Franchement, ils auraient pu être plus critiques. » Et quand certains d’entre eux (fidèles à ma consigne) se montraient très critiques, je me suis dit : « Pourquoi ils sont si durs avec moi? »

Est-ce que c’est ça la quadrature du cercle?

Je me souviens encore avec acuité d’une conversation avec une de mes lectrices, qui en plus de commenter mon manuscrit m’a donné ses impressions de vive voix. Elle me disait: ceci ne fonctionne pas et cela ne marche pas... Et la liste était longue. Et c’était sur des aspects importants du roman (personnages et intrigue…) Et j’étais probablement fatiguée ce jour-là. Ouais, ouais, que je faisais en prenant un air très concentré, alors que je serrais les lèvres pour ne pas me mettre à brailler comme un bébé. Et je me répétais sans cesse : faut pas que je pleure, faut pas que je pleure.

Je ne voulais surtout pas pleurer devant elle et la mettre mal à l’aise alors qu’elle m’avait rendue service en me lisant. Et je voulais surtout protéger l’avenir. Si ma lectrice savait que ses commentaires me faisaient pleurer, elle aurait des réticences à me lire encore. Ou pire, la prochaine fois, elle ne serait pas aussi franche avec moi…

Dur dur de faire lire son manuscrit où l’on s’est investi pendant des années, où l’on a soigneusement (parfois douloureusement) inséré le meilleur de soi-même. Dur dur de s’ouvrir à la critique. De se faire mettre en pleine face ses maladresses ou ses gaucheries. Mais c'est aussi une façon bougrement efficace de les éliminer.

DEMAIN: Autopsie des commentaires de mes « lecteurs ». Ce qu’ils m’ont fait découvrir, les bourdes qu’ils m’ont évitées. Les commentaires qui m’ont fait rire et ceux qui m’ont fait mal.