mercredi 20 janvier 2010
Ce que mes lecteurs m’apprennent
(Miss Pissenlit, en librairie en avril)
Le mythe de l’écrivain solitaire et génial est justement ça : un mythe. Idéalement, et dans bien des cas, l’auteur s’entoure. D’amis, de collègues, de lecteurs bien intentionnés, zélés et serviables, qui lui soulignent gentiment, diplomatiquement (parfois avec un franc parler rafraîchissant…) ses maladresses, faiblesses et autres ratages… ainsi que ses bons coups.
J’ai testé le manuscrit de Miss Pissenlit auprès d’une quinzaine de lecteurs. Un nombre assez important pour moi, qui d’habitude fait lire mes manuscrits par 3 ou 4 personnes.
En général, on garde les remerciements pour la fin, mais j’offre les miens d’entrée de jeu, car ce billet s’étire en longueur et au cas où certains lecteurs (surtout ceux qui ont commenté mon manuscrit) ne me liraient pas jusqu’au bout, ils sauront au moins que je les remercie chaudement.
Grâce aux judicieux commentaires de mes lecteurs sur le manuscrit de Miss Pissenlit, j’ai ri, j’ai appris, j’ai réfléchi, j’ai corrigé plusieurs bourdes et rectifié quelques fausses manœuvres. Bref, j’ai amélioré mon roman. À vous tous mes lecteurs, milles mercis pour votre temps, vos suggestions et avis, vos critiques (surtout!) et vos bons mots pour mes mots.
Je les ai tous remerciés personnellement mais je le fais ici un peu plus publiquement. Merci à Catherine B., Simon B., Louise D., Nicholas D., Frédérique F., Mariluc G-P, Sophie K., Marie L., Josée L-P, Julie L., Neale M., Julianne P., Martine P., Roy P., Charlotte P.-M, Dominique P., Pauline P., Paule S-C, Simone S-P et Kim T.
Petite autopsie de ce que mes lecteurs m’ont appris
Toutes ces erreurs débusquées
Ils sont super, mes lecteurs, pour débusquer les erreurs, les illogismes qui se terrent au détour d’une phrase ou au fin fond d’un chapitre. Par exemple, on m’a très vite signalé ma faute dans les premières lignes de la prière du Notre-Père... Quatre lecteurs sur quinze ont remarqué que mon héroïne lançait ses mitaines au sol... et que je disais, trois paragraphes plus loin, qu’elle enlevait ses mitaines. Mais ma mère avec son œil de lynx, est la seule qui a remarqué qu’une blonde au début du roman avait soudain des cheveux noirs à la page 73. Oups.
Conseils contradictoires
Qu’est-ce qu’on fait avec les conseils contradictoires des lecteurs? Surtout quand ils sont aussi fermement convaincus, aussi ardemment articulés, d’un côté comme de l’autre? On soupèse le pour et le contre et on tranche la poire en deux…
Bon, il y a eu ma sœur qui me disait, rajoute plus de sexe dans ton roman et ma mère qui m’a écrit « attention aux allusions sexuelles ».
Et que dire des points de vue opposés sur la finale de mon roman? Ohlala, la finale! Personne ne l’a aimée. Les adultes m’ont dit: tu essaie trop de tout expliquer et ne laisse pas assez de place à l’interprétation du lecteur. Les ados, par contre, en voulaient plus dans la finale. Plus d’infos, plus de détails, plus de « et après… » Comme s’ils voulaient que l’histoire continue et que je leur raconte les dix prochaines années de mes personnages. J’ai pris ça comme un compliment.
Les amputations qui font le plus mal
Je ne suis pas de ces auteurs qui chipotent parce qu’on veut leur couper une virgule ou faire sauter un adjectif. Je suis en général assez ouverte à sabrer dans le texte si ça peut l’améliorer. Mais en faisant la recherche pour ce roman, je suis devenue une spécialiste des pissenlits. Tout de recherche, tant d’informations si laborieusement et si amoureusement recueillies sur cette fleur fascinante… Et à peu près tout le monde m’a dit : coupe! Coupe! Y’en a trop sur le pissenlit. À grands regrets, je me suis résignée à couper… mais quelle douloureuse amputation.
Autre suppression qui m’a beaucoup fait souffrir: les mots recherchés et raffinés, les mots plus rares et inhabituels. Plusieurs lecteurs – trop hélas – m’ont dit qu’il fallait simplifier le vocabulaire puisque le livre s’adressait aux ados. Et comme la narratrice de Miss Pissenlit a 15 ans, plusieurs lecteurs m’ont souligné qu’elle ne s’exprimait pas dans un langage d’ados. Et la prof d’université de m’admonester gentiment: «Tu fais très didactique à toujours expliquer tes gros mots. Laisse-les inférer un peu. »
J’ai donc remplacé inertie par inaction, j’ai dit que mon personnage avait l’air constipé plutôt que l’air guindé, qu’une autre était soumise plutôt que servile… J’ai fait disparaître: esclandre, perfide, narguer, balourd, placide, etc.
Je sais, je sais, la beauté se trouve aussi dans la simplicité, mais j’y tenais à mes mots sophistiqués. J’en ai quand même biffé une tonne en maugréant. Et je me suis juré que pour le prochain roman, j’aurais un narrateur omniscient, qui pourrait utiliser tous les grands mots inimaginables. Et ça m’a donné envie d’écrire pour les adultes…
Quand l’amitié transparaît
Une des lectures commentées de mon manuscrit qui m’a le plus touchée est celle de ma grande et vieille amie. En fait, elle n’est pas si vieille cette copine, c’est notre amitié qui a de l’âge. Ses commentaires étaient pertinents, utiles, drôles aussi, mais ce qui m’a le plus ému, c’est que j’y ai senti son amitié.
Devant l’une de mes phrases, pompeuse et aussi naturelle qu’un bloc de béton, elle m’a tout simplement écrit dans la marge : Euh… Ça disait tout. J’ai aimé sa façon comique et délicate d’attirer mon attention sur mes incohérences : « S’cuse mais elle ne vient pas juste de les descendre au salon les statues? »
Cette grande chum, avec qui je partage une passion pour le chocolat, m’a même laissée dans le manuscrit des traces de pépites de chocolat. J’ai interprété ça comme un encouragement. Et finalement, à la fin d’un passage où j’avais tenté de mettre de l’émotion, mon amie m’a mis ce mot qui m’a fait palpiter de joie: «Je pleure comme une vache qui a une conjonctivite. »
Les commentaires qui m’ont fait danser devant mon écran
Après ma description d’un souper entièrement composé de plats aux pissenlits, plusieurs lecteurs m’ont écrit: « Mmm ça donne faim. » Une lectrice de 15 ans, Kim, qui m’écrit : « Oh mon dieux (sic) mon cœur bat vite » avec trois points d’exclamation. Ou ces petites annotations de Simone qui a noté toutes mes allitérations. Au moins ça valait la peine de fouiller dans mon dictionnaire de rimes. Ou ce commentaire de ma fille aînée : « Je n’ai pas fait beaucoup de commentaires dans les dernières pages parce que j’étais trop concentrée dans ma lecture. »
Les commentaires qui m’ont fait rire
Charlotte qui m’écrit au sujet des bobettes fluos : « C’est cool. Tu l’as inventé ou ça existe vraiment? » Oui, ça existe vraiment des sous-vêtements qui reluisent dans le noir.
Ma mère qui me dessine des petits bonhommes avec une moue très prononcée vers le bas, pour me dire qu’elle n’aimait pas telle phrase ou tel passage. Julie, avec son œil de lynx et ses réflexes de réviseure professionnelle qui m’a souligné implacablement les anglicismes, en me précisant qu’on ne mastiquait pas du gâteau mais de la viande.
Et j’ai souri aux commentaires de Sophie, une bibliothécaire, qui ne s’est pas du tout offusquée des pitreries de mon personnage de bibliothécaire. « Hommage ou raillerie envers les vieux bibliothécaires, même si j’en suis une je me suis délectée de ce passage. Il y a beaucoup de gens qui voient encore les bibliothécaires de cette façon surtout dans un petit village perdu… » écrit-elle.
Marie, une enseignante du secondaire, qui se demandait s'il était approprié de mettre le mot orgasme dans cette histoire. Après quelques tergiversations, j'ai enlevé le mot dangereux... Cette même Marie qui trouvait que l’accouplement des chiens lui semblait durer plutôt longtemps dans l’histoire. Sur ce point, j’ai fait une recherche sur Internet mais n’ai rien trouvé. Combien de temps est-ce que les chiens s’accouplent? Cinq minutes? Quinze minutes? Si quelqu’un a une réponse, prière de me l’indiquer.
Les commentaires qui m’ont fait apprendre des choses
-Martine, qui est maintenant prof d’université mais qui a été fermière dans une autre vie, avait un œil de lynx pour tout ce qui a trait à la vie à la ferme. Elle m’a fait enlever le cochon de l’histoire, car à son avis, un producteur laitier n’aurait pas de porc sur sa ferme, pour éviter la contamination.
-J’ai aussi grandement enrichi mon vocabulaire sur la merde. J’ai appris qu’il ne fallait pas dire purin de vache, car le purin c’est seulement pour les porcs. Et qu’il ne faut pas dire crottin pour les vaches, car le crottin c’est pour les chevaux. Il faut dire bouse.
-J’ai même découvert qu’il y avait un nom précis pour la maladie mentale dont souffre un de mes personnages: la schizophrénie religieuse.
-Moi qui ai fait six ans de piano et joué de la clarinette pendant quatre ans dans l’harmonie de mon école secondaire, j’ai appris qu'octave est un mot féminin.
Ce que j’ai appris sur mes proches
Les commentaires de mes lecteurs sont révélateurs de qui ils sont. À travers leurs impressions, j’ai appris à connaître un peu mieux leurs goûts, leurs aversions, leurs bibittes, ce qui les excite et ce qui les irrite.
Ce que j’ai appris sur moi-même
-Que la critique enrichit (je le savais déjà mais je le re-découvre à chaque nouveau manuscrit).
-Que j’ai parfois la couenne trop fragile… ça donne quoi de geindre sur une critique qui pique plus que les autres? Aiguise ta plume Andrée et va réparer la maladresse.
-Que je dois avoir la couenne assez épaisse, puisque je survis à la critique et que je continue de la solliciter.
À venir vendredi: Et ma directrice littéraire dans tout ça? Ben, c’est juste mon éminence grise, mon ange-gardien, mon faire-valoir, mon aiguillon et mon stimulant, tout ça et plus encore.
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J'ai pris grand plaisir à lire les émois suscités par le partage de ton manuscrit. Et cette histoire de pissenlit me donne... soif. Une soif de lecture ! J'ai hâte de me mettre ton roman... sous la dent (hihihi).
RépondreEffacerAgnès
Et ça ne devait pas être si pire que cela te lire puisqu'on continue de le faire...
RépondreEffacerXXX
M.
Je lis ton blog depuis peu et je savoure chacun de tes messages. Au plaisir de te croiser dans un salon et de discuter avec toi! :-)
RépondreEffacerAgnès,
RépondreEffacerBien contente de savoir que le pissenlit t'intrigue... Il y a tant de découvertes à faire du côté de cette fleur...
Andrée
Cher S@ahée,
RépondreEffacerCertainement! Le milieu du livre est petit et les salons du livre sont propices aux jasettes d'auteurs.
Andrée
Si mon commentaire te paraît long c’est dire comment ton billet ravive mes propres souvenirs. J’avais vite lu hier soir, mais je n’avais pas le temps de noter tout ce qui me passait par la tête. Me voici donc ce matin à relire ton billet. Comme je me reconnais. Des petites détails qui nous font voir que même si on pense que le métier d’écrivain, ça se passe seul, non seulement ce n’est pas le cas, mais il est évident que nous passons tous par les mêmes affres de la création... et de la correction.
RépondreEffacerTa mère versus la mienne : je la revois penchée sur les galées (c’est comme ça qu’on appelait les longues feuilles acidulées qui sortaient des photocomposeuses- grosses machines que j’ai connues) que mon père recevaient. C’est lui qui lui demandait de réviser et pourtant, il grognait à chaque anglicisme qu’elle débusquait, à chaque remise en question d’un mot ou une expression. Quelles discussions ils ont eu à propos d’un épi de blé d’Inde auquel ma mère opposait le maïs, avec le dictionnaire de Gérard Dagenais comme preuve justificative (est-ce un pléonasme?).
Rendue aux miens de manuscrits, elle était beaucoup moins sévère, ou bien parce que j’étais sa fille et me pardonnait tout ou n’osait pas autant ou parce qu’elle vieillissait et s’attardait plus à l’histoire qu’à la correction.
Quant aux amputations, ce sont les plus difficiles à mon avis. Parce que les fautes, les anglicismes, les contradictions, on ne peut pas ne pas être d’accord, mais enlever tout ce qu’on a pris tant de temps à chercher. Dans mon manuscrit sur mes ancêtres, un an de recherches, de termes de bateaux, de lois irlandaises, de précieuses dates et lieux que je n’ai pourtant pas plantés comme un décor mais bien intégrés au récit, m’a-t-il semblé, et tout ce qu’il m’a fallu enlever pour laisser place aux émotions des personnages.
Les chiens : d’après mon expérience, je dirais trois jours à rester sur le terrain, une journée intense à ne pas quitter la femelle des yeux, à ne pas dormir, à ne penser qu’à la chose, une bonne douzaine d’essais à la monter et quand enfin, la chienne accepte, cinq minutes et c’est fini. Avec un peu de chance, le mâle pourra recommencer deux ou trois autres fois. Mais à faire confirmer par un vétérinaire.
Les mots que tu appelles pompeux, moi je me dis qu'il faut apprendre un peu de vocabulaire nouveau à ces jeunes. C'est bien de vouloir coller à leur adolescence, mais si on se contente d'employer leurs mots, on va niveler par le bas. Bon, ce n'est pas la place d'un éditorial.
Ce que j’ai appris de ton billet : je ne vois pas la différence entre mastiquer du gâteau et de la viande, ça doit dépendre de la moellosité (je sais ce n’est pas un mot mais onctuosité ne convient pas vraiment) du gâteau!
Octave : j’aurais juré aussi que c’était masculin et finalement, ma petite taquinerie : j’ai remarqué que Martine, Julie et ta mère ont toutes les trois un « œil de lynx ».
Merci encore du plaisir que tu nous donnes à te lire. Et tes mots pompeux, moi j'en veux encore, je les aime bien.
Bonsoir Andrée !
RépondreEffacerIl m'a fait plaisir de lire le manuscrit, je l'ai trouvé génial. J'ai pris connaissance des modifications apportées, et je ne sais pas si je m'y prends trop tard, mais j'aimerais dire, toute adolescente que je sois, que les grands mots sont très bien, aussi, de temps en temps... Alors même s'ils figurent dans votre prochain roman et qu'il s'adresse aux adultes, c'est toujours chouette de voir les efforts qu'un auteur met à rendre son texte plus beau ! Félicitations pour cet excellent roman !
Catherine B.
Claude, Claude, Claude,
RépondreEffacerJ'ai ri tout haut en lisant votre commentaire, qui mériterait d'être un billet de blogue. Surtout le paragraphe sur l'accouplement des chiens. Trop rigolo. Je le retiens celui-là.
Et vous nous offrez là de belles images qui nous donnent envie de vous lire... Celle de vos parents se chamaillant pour le mot précis (qui fait ça aujourd'hui???) et ces histoires de lois irlandaises et de bateaux anciens...
Bien d'accord avec vous pour les mots pompeux pour les ados... J'en ai donc laissés dans le texte...
Andrée
Merci Catherine!
RépondreEffacerVive les grands mots!
Andrée