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Je suis tombée sur cette histoire tout à fait par hasard. Ou peut-être qu’il n’y a pas de hasard.
Je n’ai pas de raison spéciale d’en parler ici. Ce n’est pas un anniversaire. Il n'y a rien de nouveau à signaler. Les événements datent de plus de dix ans. Mais l’histoire m’a agrippée, aussi sûrement qu’une truite qui se fait accrocher un hameçon dans la gueule.
La façon dont j’ai découvert cette histoire est une histoire en soi. Je vous la raconte vite, vite (l’histoire qui compte ici étant celle d’Amadou) car je ne cesserai jamais de m’étonner des rencontres déroutantes que suscite le Web.
Alors voici. J’ai écrit une nouvelle, sur commande, pour un magazine destiné aux 8 à 10 ans.
Dans cette courte histoire, j’avais nommé l’un des personnages, d’origine africaine, Idrissa Diallo. La responsable du magazine m’a demandé de modifier le prénom pour éviter que les lecteurs s’imaginent qu’Idrissa était une fille. Pas de problème. Je rebaptise donc mon personnage Amadou Diallo. Spontanément, sans même réfléchir à la raison, je pitonne le nom Amadou Diallo sur Google. Et c’est comme ça que je suis tombée sur l’histoire d’Amadou.
J’ai tout de suite compris que je ne pouvais pas appeler mon personnage Amadou Diallo.
Impossible.
Et je me suis demandé sur quelle planète je vivais en 1999 pour avoir raté cette histoire.
Au mauvais endroit, au mauvais moment
Amadou Diallo, originaire d’Afrique de l’Ouest, était vendeur de gants et de chaussettes dans les rues de Manhattan. Le soir du 4 février 1999, le jeune homme de 23 ans rentrait dans son appartement du Bronx lorsqu’il a été interpellé par quatre policiers en civil, à la recherche d'un violeur. Les policiers ont tiré 41 coups sur Amadou Diallo. 19 balles l’ont touché.
Amadou ne portait pas d'arme et n'avait pas de casier judiciaire. Il a été assassiné parce qu’il était Noir. Parce qu’il vivait dans le Bronx. Parce qu’il avait une vague ressemblance avec un criminel.
Les quatre policiers, tous blancs, ont été jugés et acquittés par un jury de douze personnes (huit blancs et quatre noirs). Cet acquittement a suscité de nombreuses manifestations et protestations. La ville de New York a fini par dédommager la famille d’Amadou, en lui allouant 3$ millions, somme qui a permis de démarrer une fondation en la mémoire d’Amadou.
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Sur la rue Wheeler, où habitait Amadou, on a créé une murale de 18 pieds, devenue un arrêt incontournable pour les circuits de touristes, au même titre que la statue de la Liberté ou Ground Zero.
La mort d’Amadou Diallo a inspiré de nombreux artistes. À commencer par les caricaturistes, qui ont dénoncé le racisme avec des œuvres coup de poing, certaines criantes d’ironie, d’autres bouleversantes de vérité.
La mort d’Amadou Diallo a aussi inspiré plusieurs chanteurs: Wyclef Jean, Youssou N’Dour, Bruce Springsteen et d’autres encore, ont composé des chansons dénonciatrices.
Oh! qu’elle donne le motton, cette chanson de Springsteen, avec ce leitmotiv qui hante : 41 shots… 41 shots… 41 shots…
Je me suis demandée pourquoi la murale? Pourquoi les chansons? Pour quelle raison est-ce que cette mort fascinait à ce point Monsieur et Madame Tout-le-Monde, les touristes et les artistes?
Je n’ai pas de réponse. Mais ça me réconforte de savoir que des gens continuent de se sentir intéressés, interpellés et consternés par l’injustice. Et je me réjouis de connaître un autre bel exemple d’une situation où l’art, non seulement émeut ou éblouit, mais dénonce aussi.