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La GRC nous avait défendu de nous installer sur la pelouse devant la Colline parlementaire à Ottawa. On nous avait confinées au bas de l’escalier, devant le Bloc central. Donc, l’équipe du Projet Anna se retrouvait sur le béton et dans le coin de l’escalier, pour ne pas gêner la circulation.
Pourtant, la même GRC a permis à une classe de yoga de s’éparpiller sur la pelouse pour faire ses exercices. Résultat : le lendemain matin, à la une de ce quotidien d’Ottawa, on voyait une grande photo d’une petite blondinette en train de faire du yoga sur la Colline parlementaire. Et du Projet Anna? Pas une ligne.
Je l’avoue, la fillette est mignonne à croquer.
Pas mal plus médiatique qu’une bande de femmes dans la cinquantaine, qui revendiquent en faveur de l’avortement pour des Sénégalaises, Boliviennes ou Pakistanaises…
Pas mal plus médiatique que des militantes qui demandent aux gens de se mouiller en signant une lettre de protestation destinée à Stephen Harper.
Pas mal plus médiatique que des activistes qui disposent sur une table, à la vue de tous, des aiguilles à tricoter, un cintre et des morceaux de bois… instruments utilisés par les femmes désespérées qui n’ont pas accès à l’avortement…
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Pourtant, il y avait un certain drame dans notre humble performance, surtout quand on étendait sur le sol une grande Anna en styromousse et qu’on la recouvrait d’un châle, afin de souligner qu’une femme meurt à chaque huit minutes d’un avortement bâclé. À la fin de l’événement, une seule des Anna restait debout: la Canadienne.
Un journaliste (dont j’ai oublié le nom) disait que pour choisir quelle tragédie recevra le plus de couverture médiatique, les médias se servent d’une équation très simple:
10 000 étrangers d’un autre pays = une femme jolie, blanche et nord-américaine.
Donc, pour ne rien vous cacher, notre événement organisé le 9 juin sur la Colline n’a généré aucune couverture médiatique. Zéro. Rien du tout. Le néant total.
Je n’étais pas déçue. Sans doute parce que mes attentes étaient lilliputiennes. Je savais qu’on se battait contre des moulins à vent. Que la cause de l’avortement pour les femmes des pays en développement n’est pas très populaire. Que le sujet est délicat, controversé, pas propre ni joli.
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Même si je ne me faisais pas d’illusion sur la portée de notre geste, j’ai aimé monter aux barricades. Pour moi, l’événement est loin d’avoir été un échec, parce que :
- Plus de 40 personnes ont signé la lettre de protestation et d'autres ont signé des messages sur les poupées de papier, à l'intention du premier ministre Harper. Ce n’est pas rien ça!
- Nous avons eu la visite de trois députés, un du NPD et les deux autres du Bloc Québécois. Quel plaisir de voir Mme Nicole Demers, députée de Laval, s’asseoir dans les escaliers de ciment pour découper des poupées de papier en guise de protestation.
- J’ai raffolé de l’énergie tonifiante des militantes qui s’étaient déplacées. J’ai adoré baigner dans cette belle camaraderie qui survient quand on se retrousse les manches en groupe, qu’on essaie d’ébranler le statut quo, qu’on rêve ensemble à l’impossible.