jeudi 13 août 2009
Quand le suçon se fait œuvre d’art
Je n’ai pas le doigté assuré du pâtissier, ni la main sûre du peintre. Chaque fois que j’essaie de glacer un gâteau ou de faire un peu de peinture, je me retrouve inévitablement avec des zébrures ou dégoulinades. D’où mon admiration devant cet artiste du suçon, vu à Dali dans le Yunnan.
Avec un simple sirop de sucre, il créait des œuvres d’art sur sa plaque de marbre. En quelques tours de mains, il faisait naître sous nos yeux des dragons, des papillons, des poissons et des paons, etc. Aussi fins et complexes que de la dentelle. Dès que le sucre avait durci, il y plantait un bâton pour transformer sa création en suçon. Le tout en moins de deux minutes et pour moins de 2$.
Nous avons acheté deux de ces suçons œuvre d’art pour nos filles. C’était presque trop beau pour être dégusté. En fait, c’était plus joli à regarder que bon à manger. Fabriqué dans un sirop de sucre, ce suçon croquant colle aux dents et ne goûte pas grand-chose. Pour vraiment accrocher le consommateur, pour l’inciter à revenir non seulement pour le plaisir de l’œil mais aussi pour le plaisir du palais, j’y rajouterais quelques gouttes de sirop d’érable.
Notre fille cadette a dû trouver trop sucré son coq créé par l’artiste du suçon. Le lendemain matin, dans la poubelle de notre chambre d’hôtel, j’ai trouvé une flaque de sucre fondue. Ça m’a fait pousser un soupir mélancolique sur la fugacité de l’art…
Voici donc un de ces inimitables artistes du suçon en action, filmé par "Leon", un Britannique qui a passé une année en Chine.
mercredi 12 août 2009
Branché ou débranché?
J’ai tergiversé (mais pas trop…) avant de décider d’apporter un ordinateur pour notre voyage en Chine. En fait, c’est mon conjoint qui mettait les freins, de peur que je travaille durant le voyage. On a pesé et soupesé le pour et le contre, avant de finalement décider qu’il y avait plus de pour que de contre.
Quelques bonnes raisons que nous avions d’apporter l’ordi pour rester «branché» même en vacances :
- Pour peaufiner notre itinéraire en cours de route, réserver notre hôtel dans la prochaine ville, se documenter sur la pagode que nous allions visiter le lendemain. Nous avions bien notre bon gros « Rough Guide », mais une fois qu’on a goûté à la richesse et la diversité de l’Internet, un seul guide semble une bien pauvre source pour se documenter.
- Rester en contact avec le Canada (par courriel ou Skype) pour suivre les dossiers chauds: recevoir les nouvelles des grands-parents à l’état de santé fragile ou de cet éditeur dont on attend une réponse depuis un certain temps…
- Disposer d’un dépôt pour télécharger les centaines de photos prises au cours du voyage avec l’appareil photo numérique.
- Pour permettra à nos filles de pouvoir écrire des courriels à leurs amis ou regarder un film durant les longs trajets en train. Pas de jeux, par contre, car il n’y en a pas (et il n’y en aura pas) sur mon ordinateur portable.
- Tenir mon journal de voyage.
- (Dernière raison et celle là, je la dis tout bas, en chuchotant, parce que j’ai un-peu-beaucoup honte : je suis un-peu-beaucoup accroc à mes courriels et mes blogues…)
On est donc partis pour la Chine avec l’ordinateur portable dans le sac à dos. Les connections internet étant assez bonnes dans l’Empire du Milieu, j’avais accès à mes courriels presque quotidiennement.
J’ai donc pu regarder et commenter les esquisses d’un de mes albums en préparation. J’ai eu la réponse (très attendue) que mon roman pour ados était accepté par mon éditeur et paraîtrait cet hiver. J’ai répondu à quelques courriels pour le boulot. Pour les blogues, par contre, je ne les ais pas lus car ils étaient bloqués , gracieusement du gouvernement chinois.
Tout ça a nourri mon accoutumance à l’ordi… mais. Il y a un Mais. En pitonnant sur le clavier, à Shanghai, Beijing, Xian ou Dali, j’avais certains doutes… un malaise diffus qui me tenaillait. Avec l’ordi constamment à portée de main en Chine, je n’ai pas décroché. J’ai apporté mon travail, mes préoccupations avec moi, je n’ai coupé aucun pont. La rupture avec la routine, n’est-ce pas justement ce qui rend les voyages si précieux?
De plus, en apportant avec moi le portable, en préservant une ligne d’accès direct avec le Canada, en gardant mon univers familier si proche (du moins virtuellement), je me suis privée des joies du dépaysement total. De l’immersion complète dans cette Chine si complexe et déroutante. Bien sûr, je sentais clairement que j’étais loin de chez moi, de mes références habituelles, mais grâce à Internet, je n’étais jamais vraiment ni complètement éloignée.
D’ailleurs, nous n’étions pas les seuls à rester « branchés » même en vacances. J’ai été étonnée de voir le nombre de voyageurs (dans les auberges de jeunesse ou dans les cafés) se trimballant avec leurs ordinateurs portables… Ça n’existe donc plus des voyages « débranchés »?
Petit paradoxe : tout au long de notre périple, j’ai dû partager mon ordinateur avec mon conjoint qui voulait télécharger et trier ses photos, avec ma fille aînée qui voulait envoyer des courriels à ses copines et avec la cadette qui voulait clavarder. Comme l’ordinateur était le plus souvent en demande, en soirée, dans notre chambre d’hôtel, je me suis rabattue sur un simple carnet pour écrire mon journal de voyage.
J’ai redécouvert le plaisir d’écrire à la main.
De retour au Canada, je feuillette ce carnet et j’éprouve une grande satisfaction à voir toutes ces feuilles noircies. Je ressens une fierté puérile devant le nombre de pages remplies, preuve concrète de ma persévérance (ou mon entêtement) à noter nos aventures et mes impressions. Ce carnet me semble bien plus précieux, bien plus digne d’être préservé qu’un document Word classé dans un répertoire électronique de la mémoire virtuelle de mon ordinateur…
lundi 10 août 2009
La Muraille et le Roman: même combat
Faire une randonnée sur la Grande Muraille « sauvage » de Chine, c’est exactement comme écrire un roman. Même extases, mêmes souffrances. Mêmes doutes, mêmes agonies. Même combat.
LE DÉBUT DE L'AVENTURE
Le Roman :
Quand on commence un roman, on est emballé par l’idée, l’embryon d’intrigue, l’univers esquissé. L’histoire s’agite devant nous, aguichante, à peine explorée, toute entière à développer. On est titillé par les possibilités et animé de la passion galvanisante des débuts…
La Muraille :
Quand on commence une randonnée sur la grande Muraille de Chine, on est confronté à des paysages d’une beauté à couper le souffle: un majestueux mur de pierres qui serpente les flans de montagnes abruptes. Jalonnée par les tours de guets et de nombreuses portes, la Muraille s’élance à perte de vue. Ce qui fait s’écrier ma fille cadette : « Oh my God! Ça ne finit jamais! » Moi, ça me donne envie d’être peintre.
Symbole de la civilisation chinoise, la Grande Muraille ondule sur
6 700 km d'ouest en est, soit près d'un sixième de la circonférence de la terre. Nous, on a eu l’audace de faire la Muraille « sauvage» (Wild Great Wall), c’est-à-dire une randonnée de 11 km entre les villages de Jinshanling et de Simatai. L’endroit se trouve à deux heures de route de Beijing.
Au début de la randonnée, on marchait d’un bon pas sur les vieilles pierres, aussi enthousiastes qu’admiratifs, aussi énergiques qu’émerveillés.
LE MILIEU DE L'AVENTURE
Le Roman :
Quand on arrive au milieu de la rédaction d’un roman, l’enthousiasme a perdu de son intensité, le doute s’installe, on ne sait pas si ce sera simplement bon ou carrément médiocre. On se demande si on aura le courage d’aller jusqu’au bout, on a envie d’abandonner. On n’a plus de plaisir à écrire. C’est le test ultime de l’endurance et de la persévérance. On sait qu’il faut se pousser au-delà de ses limites, mais on ne sait pas au juste où se trouvent nos limites. On se demande d’où venait l’idée loufoque d’écrire un roman.
La Muraille :
La randonnée entre Jinshanling et de Simatai est une randonnée difficile (ce n’est pas moi qui le dit mais le "Lonely Planet") en temps normal alors imaginez le « défi » (et c’est un euphémisme…) par une journée où la chaleur grimpe à 36 C!!! Le soleil tape tellement dur que mon t-shirt et ma casquette sont trempés de transpiration. J’ai un coup de soleil sur les bras et ça commence déjà à brûler. Je sors ma bouteille d’eau à toutes les dix minutes, mais l’eau tiède ne me désaltère pas. J’ai le souffle court, je trouve ce parcours épuisant. Je me demande quand ça va finir et si j’aurai la force de le finir.
Vers la moitié de notre randonnée, on arrive dans la section Simatai de la Grande Muraille. L'entrée de la passe est abrupte et à cet endroit, la Muraille s'élargit ou se rétrécit selon la crête rocheuse en lame de rasoir. Cette partie de la Muraille n’a pas été restaurée, depuis sa construction, il y a 500 ans. À certains endroits, le mur est détérioré et les pierres sont brisées ou branlantes. Il faut donc se tenir à deux mains pour avancer. Pour la sécurité, on repassera.
Sur ce tronçon du Mur, on trouve l’habituelle voie large pour chevaux, mais aussi les escaliers « échelle céleste » le long des crêtes. Moi qui ai peur des hauteurs, j’avance parfois presque à quatre pattes en évitant de regarder en bas ou derrière moi. Je ne m’amuse plus du tout. Je ne m’extasie plus une miette devant ce paysage mirifique.
Je me demande qui a eu l’idée loufoque de faire cette randonnée sur la Muraille « sauvage ».
LA FIN DE L'AVENTURE
Le Roman :
Il a fallu 2000 ans pour construire la Muraille. Arrivé dans le sprint final de la rédaction d’un roman, on a l’impression que ça fait 2000 ans qu’on y travaille et qu’il est encore loin d’être prêt et qu’il ne sera jamais prêt et qu’on n’a pas une seule once de talent. On est prêt à jeter le roman dans la cheminée. On déteste la littérature et on veut se faire plombier.
On n’a qu’un désir, un seul désir, un brûlant désir : en FINIR! On n’a qu’une pensée, une seule, qui revient comme un leitmotiv : « Plus jamais on ne m’y reprendra. »
La Muraille :
À la quatrième heure de marche, je n’en peux plus de cette foute Muraille. Je veux qu’un hélicoptère vienne me chercher. J’ai mal à mes vieux genoux, mal aux épaules (à cause du sac à dos), mal à mes bras brûlés. J’ai refusé de manger le sandwich au poulet que je traine depuis trois heures dans mon sac à dos et qui a été réduit en bouillie sous le poids de nos bouteilles d’eau. La seule vue de la mayonnaise me donne mal au cœur. J’ai l’estomac vide et les jambes qui tremblotent.
En plus, il y a ce foutu pont suspendu qui m’attend avant l’arrivée à la porte finale, je le vois de loin. Selon le « Lonely Planet », cette randonnée n’était pas recommandée pour ceux qui ont le vertige ou peur des hauteurs… J’aurais dû rester dans ma chambre d’hôtel… Pas pour me justifier, mais ce fameux pont suspendu au dessus d’un haut précipice, se balançait quand on marchait dessus, horreur suprême!!! Pas pour les moumounes, je vous assure. Au moment de traverser ce foutu pont, j’ai eu un moment de faiblesse et je me suis rendue ridicule, mais après moult palpitations, j’ai fini par me retrouver de l’autre côté.
Je n’ai qu’un désir, un seul désir, un brûlant désir : en FINIR! Je n’ai qu’une pensée, une seule, qui revient comme un leitmotiv : « Plus jamais on ne m’y reprendra. »
Onze kilomètres et quatre heures et demie plus tard, on arrivait enfin à la fin du parcours, là où nous attendait notre chauffeur. Alléluia.
Mao Zedong a dit: Celui qui n'a pas gravi la Grande Muraille n'est pas véritablement un homme. Je l’ai amplement prouvé ce jour là : je suis véritablement un « homme ».
LE LENDEMAIN DE L'AVENTURE:
Le Roman :
On se dit : quelle expérience fabuleuse je viens de vivre. Je suis prête à recommencer.
La Muraille :
On se dit : quelle expérience fabuleuse je viens de vivre. Je suis prête à recommencer.
Toutes les photos sont de mon conjoint Neale MacMillan.
Pour avoir une meilleure idée en images, de notre randonnée sur la Muraille "sauvage" entre Jianshianling et Simatai, voir le parcours "pas à pas" photographié par l'Américain David Turner.
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