Tel que rapporté la semaine dernière par Le Devoir, un ministre mal informé se met les pieds dans les plats en disant des âneries (le premier ministre finira-t-il par le coiffer du bonnet
d’âne?) Une bibliothécaire indignée réagit avec fougue et éloquence.
Merci Brigitte Moreau, de ton ardeur et de ton engagement à défendre la
lecture chez les jeunes. Lisez jusqu’au bout le plaidoyer de Brigitte
Moreau : il montre l’importance cruciale d’offrir aux enfants des
bibliothèques de qualité.
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Je suis bibliothécaire scolaire depuis plus de 20 ans, je travaille actuellement dans
une commission scolaire et je suis membre du Conseil consultatif de la lecture
et du livre relevant du Ministère de
la Culture et des communications. J'ai connu les années de disette qui ont conduit tout le réseau des bibliothèques
scolaires dans un pitoyable état
de famine par manque de ressources tant en livres qu'en personnel documentaire
spécialisé. Depuis la création du Plan d'action sur la lecture en 2004, j'ai vu le retour lent,
mais progressif, vers la réhabilitation
des bibliothèques scolaires.
Cependant le but est loin d'être
atteint et le travail qui reste à
faire demeure colossal!
Des propos inquiétants
N'oublions pas que la majorité des enfants n'ont accès aux livres que par leur bibliothèque scolaire, limiter cet accès en recommençant à en réduire la capacité et la qualité de son offre est une décision qui privera une grande proportion d'enfants à l'usage et la découverte d'une diversité littéraire et documentaire indispensable dans la construction de leur identité et dans le soutien de leurs apprentissages scolaires. Les propos du ministre de l'éducation sont sérieusement inquiétants et démontrent de façon éloquente l'ampleur de sa méconnaissance du milieu éducatif.
La bibliothèque doit demeurer vivante
S'affranchir d'acheter des livres pour une bibliothèque scolaire, ne serait-ce que d'une année, est une décision hautement dommageable sur le dynamisme et l'actualisation de son fonds documentaire et littéraire. Par exemple, pour demeurer "vivante" la bibliothèque de l'école a besoin de maintenir à jour les suites des séries dont les enfants raffolent et attendent avec impatience, ce qui, conséquemment, les maintient en état du désir de lire. Rater un tel rendez-vous avec eux c'est tuer dans l'œuf le germe d'une volonté de lire qui balise l'apprentissage de la lecture. C'est aussi signifier aux enfants que leurs attentes ne sont pas suffisamment importantes pour être dignes de considération!
La bibliothèque scolaire n’est pas un musée !
D'autant plus que tous les livres ne sont pas intemporels, on ne peut pas être fier d'offrir aux enfants des livres qui datent de 20 ans, comme le soutient le ministre, pour plusieurs raisons qui vont de la détérioration physique du livre à la désuétude de son contenu, tant au niveau informatif que culturel. Pour demeurer attrayants, attirer et maintenir les enfants dans le désir d'apprendre à lire et d'aimer lire, les livres doivent correspondre à leurs attentes et être en adéquation avec leur réalité. Pour que les enfants puissent comprendre ce qu'ils lisent et construire leur identité, ils doivent pouvoir faire des liens avec les connaissances qu'ils ont d'eux-mêmes et du monde qui les entoure. Les enfants ne se reconnaissent pas dans les livres qui datent des calendes grecques. La bibliothèque scolaire n'est ni un musée ni un centre d'archives! Même les classiques ont aussi besoin d'une cure de rajeunissement régulière pour maintenir le désir de les lire : la dynamique de la mise en page est déterminante dans la motivation (l'engagement) d'un enfant à persévérer dans sa lecture, déterminante aussi dans sa compréhension. Il en va de même pour les illustrations qui s'inscrivent dans le temps; elles sont des marqueurs culturels indispensables pour la construction d'une identité culturelle et sociale.
Les Indiens ne sont pas des sauvages
Mais il n'y a pas que la littérature de fiction qui doit être actualisée, les documentaires ou livres informatifs où les enfants puisent des connaissances et s'initient à la recherche d'informations doivent être à jour. La qualité des informations de ces livres "s'use » avec le temps. Les enfants ne lisent pas des essais philosophiques qui traversent le cours des siècles, ils lisent pour apprendre et comprendre le monde qui les entoure. Mais que peut-on espérer d'une instruction faite à partir d'informations périmées? Veut-on que nos enfants apprennent que les Indiens sont des sauvages, que Pluton est une planète, que l'URSS est le plus grand pays du monde, que Riopelle est l'unique peintre du Québec? Ou encore que les livres sur les ours polaires qui datent d'une autre génération ne soient pas remplacés sous prétexte qu'un ours ne change pas? Pourtant son habitat, lui, change et la fonte des glaces menace la survie de l'espèce, voilà où un livre qui date trouvera ses limites même pour des sujets qui semblent stables de prime abord.
N’offrons pas la médiocrité aux enfants…
Faire le choix de ne plus investir dans l'acquisition de livres récents et actuels, peu importe le sujet ou le genre, c'est choisir délibérément la médiocrité pour les enfants sous prétexte qu'ils ne sont que des enfants. C'est avoir une conception erronée et à courte vue de la raison d'être des livres : instruire. Même la lecture de fiction contribue à éduquer. Elle permet de mettre en contexte des situations complexes qui rendent compréhensibles les interactions humaines.
C’est le moment ou jamais de rattraper toutes ces années perdues
À l'école, on ne fait pas seulement que chercher à développer le goût de lire, on travaille surtout sur l'apprentissage de la lecture, à développer des lecteurs pour la vie qui seront aptes à s'épanouir dans la société du savoir et de l'information qui caractérise notre époque. Si l'école a failli à la tâche ces dernières décennies, c'est peut-être justement parce que nous avions négligé, à une certaine époque, l'essentielle contribution des bibliothèques d'écoles gérées par des bibliothécaires scolaires à cet égard: nous avions alors choisi de les laisser dépérir. Ce serait absurde de retourner en arrière au moment même où nous sommes en position de rattraper tant d'années perdues.
Allez gagner la coupe Stanley avec votre vieux bâton…
Choisir de ne plus acheter de livres régulièrement dans nos bibliothèques d'école signifie de refuser d'outiller adéquatement les élèves dans leurs apprentissages, ni soutenir les enseignants dans leur enseignement. Ce serait comme exiger des joueurs de hockey professionnels de gagner la coupe Stanley en utilisant toujours les mêmes bâtons et en réparant ceux cassés par du ruban adhésif sous prétexte que les bâtons coûtent cher. Sans outil adéquat, on ne peut espérer, ni encore moins exiger, la performance. Le problème en lecture au Québec, c'est que nous sommes bien loin d'une quelconque performance dans une société qui compte 49% d'analphabètes fonctionnels! Nous n'avons pas le choix! L'art d'être cohérent svp! Si nous voulons que nos enfants performent, donnons-leur les outils, le soutien nécessaire et les contextes favorables pour y arriver!
Ces coupures affecteront directement les élèves
Le gouvernement avait promis que les coupures budgétaires dans les commissions scolaires n'affecteraient pas le service direct à l'élève. Ce même gouvernement avait promis de la rigueur, mais jusqu'à maintenant, ce sont la démagogie et les déclarations intempestives qui ont dominé les discours d'une trop grande majorité d'élus dont plusieurs au pouvoir.
Brigitte Moreau, bibliothécaire scolaire
Région de Montréal