mardi 25 août 2009

Interdiction de porter du rouge à lèvre


C’était un dimanche radieux à Hong Kong. Une pluie fine avait tout lavé, l’air était frais et les gratte-ciel fringants. Après trois semaines à bourlinguer sur la Chine continentale, nous arrivions à la fin de notre voyage. L’Empire du milieu me semblait moins épeurant, plus accueillant. Mes filles étaient joyeuses à l’idée de rentrer. Moi je me sentais forte d’avoir survécu à cette expédition sans trop d’égratignures ou de déboires. Notre périple n’était pas encore terminé mais j’avais un sentiment d’accomplissement, l’impression d’avoir remporté une série de petites victoires (sur moi-même, sur le hasard, sur les aléas du voyage). Bref, je flottais sur un léger nuage d’euphorie de fin de voyage.

Donc, par ce superbe dimanche matin, un ami chinois nous fait visiter Hong Kong. Nous arrivons devant le célèbre de la banque de Hong Kong, décrit comme le chef d’œuvre incontesté de l’architecte britannique Normand Foster. Cet étonnant gratte-ciel (qui serait l’édifice le plus coûteux du 20e siècle) est juché sur des pylônes permettant de marcher directement dessous.

L’ami chinois nous montre la foule de femmes rassemblées sous l’édifice de la banque et nous explique que ce sont des « Filipinos », qui travaillent à Hong Kong comme domestiques. Comme le dimanche est leur seul jour de congé de la semaine, comme elles n’ont pas d’endroit où aller, elles apportent leur lunch et viennent manger avec leurs compatriotes des Philippines.

À Hong Kong, avoir une bonne des Philippines est signe de prestige, au même titre qu’une Mercédès, une montre suisse, des vins français ou des fringues griffées Dior. Selon cette auteure, qui a écrit un bouquin sur les domestiques « Filipinos », elles sont environ 150 000 à Hong Kong à travailler comme bonnes ou nounous pour les Chinois. Elles triment dans des conditions difficiles, certaines étant soumises à des restrictions sévères (interdiction de porter du rouge à lèvre) ou même à de l’abus physique.

Quelle ironie dans l’image de cette foule de bonnes des Philippines, rassemblées sous un des édifices les plus chers au monde, pour manger leurs nouilles réchauffées... Dans cette Chine qui se dit communiste (et dont l’un des principaux principes devrait être de combattre l’exploitation de l’homme par l’homme), ces bonnes Filipinos montrent que l’on nage dans l’inégalité sociale la plus flagrante…

Dans les années 20, ma grand-mère Poulin a quitté son village de campagne pour aller travailler à Ottawa comme servante dans une famille riche. Elle avait 14 ans à son arrivée dans la « grande » ville. Le dimanche, son seul jour de congé, elle se sentait tellement seule qu’elle allait pleurer à l’église. Combien sont-elles de Filipinos à pleurer, le dimanche, à l’ombre de la banque de Hong Kong?

6 commentaires:

  1. ici aussi, de nombreuses bonnes et nounous viennent des Philippines!

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  2. J'ai plutôt remarqué que vous aviez un nom de domaine. C'est bien. Peut-être ajouter un lien qui le dirige vers votre site?

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  3. Andrée-Anne,
    T'as raison. J'ose espérer toutefois qu'au Canada, les domestiques étrangères ont de meilleures conditions de travail qu'en Chine...
    mais je n'en sais rien...
    Andrée


    Claude,
    Merci de me le signaler. Je croyais avoir correctement entré l'hyperlien en indiquant l'adresse de mon site web, mais je constate que non. Je retourne donc fricotter dans mes paramètres...
    Andrée

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  4. Vous "fricotez" très bien!
    Bonne rentrée en passant.

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  5. C'est pas bien drôle. De ma tête, j'ai vu votre grand-mère pleurant dans l'Église ... seule. La différence entre ces bonnes personnes de la Philippines, elles sont ensemble. C'est un baume, j'imagine.

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  6. Venise,
    Oui, oui, moi je me les imagine entre elles, à rigoler, à s'échanger des petits plats à la mode philippine, à se consoler mutuellement de leur mal du pays et peut-être même à se moquer de leurs riches employeurs...
    Andrée

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