mercredi 10 août 2011

De la plogue pure au copier/coller... Est-ce que la critique littéraire est morte?


L’épisode n’est plus tout à fait nouveau, mais j’étais en vacances lorsque tout ça s’est produit et j’en ai pris connaissance récemment, via Facebook… Au début, je me suis dis, ah non, Andrée, ne va pas encore monter sur les barricades, laisse tomber, garde ton énergie pour tes combats plus prometteurs, ça ne vaut pas la peine de protester, ça ne changera rien. Mais les jours qui passent et mon indignation ne s’émousse pas. Et si personne n’en parle, alors il n’y aura vraiment, mais VRAIMENT aucune chance que les choses changent. Alors je plonge.

Le 15 juillet dernier, La Presse a publié sur son site un texte de Mathieu Perreault sur des lectures d’été pour ados. L’article présentait 11 titres de livres, TOUS des traductions d’auteurs américains ou britanniques. Aucune suggestion sur un roman québécois. Zéro. Rien pantoute. Dieu sait pourtant qu’il se publie chaque année au Québec une kyrielle de romans pour ados et de très bons aussi (Charlotte Gingras, François Gravel, Michèle Marineau, Dominique Demers… ces noms vous disent quelque chose?)

Petits cobayes
Dans son texte, le journaliste se borne à présenter les 11 livres par un simple paragraphe résumant l’intrigue, sans doute tiré de la quatrième de couverture ou du communiqué de presse rédigé par l’éditeur. Le journaliste a-t-il lu un seul des livres mentionnés? Si oui, il le cache bien.

L’article de Mathieu Perreault suscite des réactions. Quelques auteurs jeunesses (difficile de savoir combien?) écrivent au journaliste pour se plaindre. Ce dernier répond en disant que pour sélectionner les livres présenté dans son article, il s’est « basé sur les préférences de petits cobayes. Ceci dit, je suis d'accord que j'aurais politiquement dû inclure des titres québécois», ajoute-t-il. Voilà ce qu’on appelle d’ajouter l’insulte à l’injure.

L’ANEL réagit rapidement au texte de M. Perreault en postant un texte sur sa page Facebook, soulignant qu’elle a créé le Prix littéraire des enseignants AQPF-ANEL pour justement promouvoir la littérature québécoise et canadienne-française auprès des enseignants. L’ANEL y va même de ses propres suggestions de lectures d’auteurs québécois.

Des auteurs jeunesse introuvables
Les critiques semblent avoir un certain effet sur M. Perreault, qui tente (de façon horriblement maladroite…) de faire amende honorable. Le 22 juillet, La Presse publie une petite annonce intitulée Auteurs jeunesse recherchés. Le journal invite les auteurs à présenter leur œuvre et les « meilleures entrées » seront publiées sur Cyberpresse.

D’abord, deux mots sur le titre de cette petite annonce: « Auteurs jeunesse recherchés ». Pourquoi faut-il « rechercher » les auteurs jeunesse? Chaque année, les maisons d’éditions dépensent des dizaines de milliers de dollars en relations de presse. À moins de s'appeler Réjean Ducharme, les auteurs québécois ne sont donc pas difficiles à trouver. Pourquoi le journaliste ne peut-il prendre le temps de parler aux éditeurs, sélectionner des livres, les lire (les LIRE! comme ce serait subversif!!!!) et ensuite en parler intelligemment? Ou même, s’il veut être follement innovateur, faire une entrevue avec un auteur jeunesse?

Demander aux écrivains de présenter eux-mêmes leur livre… ne voilà-t-il pas une façon idéale d’entretenir la paresse journalistique? Chose certaine, en matière de journalisme culturel, ça ne vole pas haut… En fait, ça semble être un cas très clair de «débarrassez-moi au plus vite de cette corvée». Comble de l’ironie, dans l’annonce pour ce futur article sur la littérature, le journaliste ne demande pas de recevoir les livres! Donc, il ne se donne même pas la peine de faire semblant de lire les livres... C’est comme si un critique gastronomique passait dans quelques restos et disait aux chefs: je n’ai pas faim aujourd’hui, je n’ai pas le temps de goûter à ce qui se trouve sur votre menu, envoyez-moi un texte sur vos plats et je publierai les meilleurs dans le journal.

Fatras et fouillis
Poursuivons. Pour faire suite à la petite annonce, Cyberpresse publie, les 22 et 23 juillet, sous la signature de Mathieu Perreault deux textes (ici et ici) intitulés “Lire québécois”. Impossible d’utiliser le mot article ou chronique ou critique pour décrire ces textes : ce serait faire insulte à ceux qui écrivent de vrais articles.

Pour décrire les deux textes, je dirais plutôt : fatras, fouillis, méli-mélo, torchon. Le journaliste semble avoir publié intégralement l'information (la publicité) envoyée par les auteurs. Sans prendre le temps d’élaguer, d’éditer, ordonner. Aucune tentative d’y aller par genre ou groupe d’âge ou quoi que ce soit. On tombe dans le plus élémentaire copier/coller. Ce qui donne des articles où les auteurs font allègrement leur auto-promotion, annonçant leur site web, leurs animations dans les écoles, la qualité de leurs livres, de leurs séries, etc. Si un élève de secondaire soumettait ce genre de travail à son prof, il récolterait un beau zéro.

Entendons-nous bien. Je ne blâme aucunement les auteurs qui ont envoyé de l’information sur leurs livres. On parle si peu de littérature au Québec, que je comprends ces écrivains d’avoir sauté sur l’occasion. Non, ma colère et mon malaise sont liés à autre chose.

Ce qui me révolte dans cette histoire :
1- La condescendance du milieu journalistique à l’égard de la littérature jeunesse. Est-ce qu’on demande à un mécanicien de faire une transplantation de rein? Pourquoi est-ce qu’on demande à un journaliste diplômé en génie chimique d’écrire sur la littérature? D’autant plus que le dit journaliste, ce M. Perreault pour ne pas le nommer, couvre la science et la religion depuis 1999. Qu’est-ce qu’il connaît en littérature jeunesse?
2- La nonchalance et le manque de professionnalisme du journaliste.
3- La nonchalance et le manque de professionnalisme de La Presse. Où étaient le pupitreur, le responsable de la section des arts ou le rédacteur en chef qui ont laissé passer des textes aussi minables?
4- Le manque de respect à l’égard des auteurs.
5- Le manque de respect à l’égard des lecteurs de La Presse, en leur offrant de la pure plogue, désordonnée et brouillon, plutôt que des textes cohérents, critiques, analytiques, élégants et stimulants.

Ce qui me décourage dans cette histoire :
Sur la place publique, personne ne s’est offusqué de la qualité pathétique de ces textes sur la littérature jeunesse publiés par La Presse.

Ce qui m’inquiète dans cette histoire:
1- Est-ce que le journalisme culturel est mort?
2- Est-ce que la critique littéraire est morte?

24 commentaires:

  1. Ça s'appelle de l'indifférence, Andrée...
    Ces gens ne comprennent pas à quel point les histoires que les enfants lisent sont très utiles parce que structurantes pour leur personnalité. *soupir*
    Le pire, c'est qu'ils sont probablement parmi ceux qui crient que les jeunes ne savent pas lire en sortant du primaire. *re-soupir*

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  2. Fabrice Boulanger13 h 11

    J'aime quand tu montes aux barricades :-)))

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  3. J'aime aussi beaucoup!
    Mais je ne pense pas que la critique littéraire de qualité est morte. Juste qu'elle se fait rare et que plusieurs sont trop paresseux pour la chercher. Dommage!

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  4. À mon avis La Presse n'a jamais été une référence concernant les critiques littéraires. Je préfère me tourner vers les blogues ou autres publications spécialisées. Mais je trouve dommage que le grand public n'ait que ça à se mettre sous la dent. C'est d'une pauvreté intellectuelle lamentable. J'espère que le branle-bas de combat sur les médias sociaux concernant cette affaire a fait réfléchir les personnes concernées.

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  5. Merci Andrée pour ce billet percutant et malheureusement trop vrai.

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  6. Daniel Sernine14 h 04

    J'avais déjà été interviewé par ce journaliste-à-tout-faire. Résultat, une très belle visibilité dans La Presse, mais disons que je n'avais guère été impressionné par son degré de préparation. Pour toute lecture -- en autant que j'aie pu en juger -- il avait lu le premier chapitre de l'un de mes romans que sa fille s'adonnait à avoir (pour l'école, avais-je cru comprendre). Le substantiel roman pour adultes dont la parution était prétexte à l'entrevue... j'ignore quelle proportion il en avait lu mais, en pourcentage, ça ne devait pas être dans les deux chiffres.

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  7. Pourquoi ça fait longtemps que je n'ai plus d'illusions? Et guère plus d'espoir que ça s'améliore?
    1- Les journalistes ne sont plus ce qu'ils étaient.
    2- Plus de recensions que de réelles critiques.

    Je dirais qu'il ne reste que Le Devoir.

    La culture se limite à l'humour, les festivals et la musique et probablement dans cet ordre.

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  8. Excellent billet Andrée!!!

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  9. Excellent! Je vais partager. J'ai communiqué avec ce journaliste et il m'a dit que ça ne devrait durer qu'une semaine (ce que son boss lui demandait). Puisque mon livre ne sort qu'au début 2012, ça ne donnait rien que je lui en parle! Ceci dit je travaille en télévision jeunesse et le mépris y est tout aussi présent qu'en littérature!

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  10. Katia Canciani19 h 34

    Merci Andrée pour cet excellent billet.
    Je vais partager.

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  11. Hé bien, Andrée, il vous reste à proposer à La Presse votre candidature comme chroniqueuse en littérature jeunesse!

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  12. Un très bon article !

    J'anime un blogue littéraire (je ne me considère pas critique) et je mets beaucoup de temps à peaufiner mes chroniques ... Les auteurs méritent ce respect !!

    Et nous avons une littérature vivante ... qui mérite qu'on parle d'elle ... et en bien !

    Merci !
    Au plaisir de vous lire !

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  13. J'arrive de Toronto. Ouache! direz-vous. La culture, c'est nous! C'est le Québec. Je lis les journaux de fin de semaine, les Weekend Edition. Le Globe, le Star, le Post... Et voilà des pages et des pages de livres commentés, recensés et critiqués. Bon, encore faut-il lire ça... Eh bien, on est loin du style Achille Talon! Des recensions éclairées ( ma foi, ceux et celles qui les signent ont non seulement lu le livre dont il est question mais ils sont capables d'établir des liens avec des oeuvres antérieures de l'auteur et même avec la littérature contemporaine ). Pire que cela, ils donnent le goût d'acheter et de lire les livres. Ils donnent même des références complètes. Je n'en reviens pas. On se croirait au temps de Reginald Martel, de Jean Basile, de Jean Royer, de Jacques Thériault, etc. Comment se fait-il que ces gens n'aient pas évolué? Incroyable! Et on est en plein été, même pas durant la "saison littéraire"... C'est tellement triste.

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  14. Il m'arrive parfois d'imaginer un monde où l'indignation serait plus souvent exprimée. J'en arrive à croire que c'est notre devoir. Me semble que les choses tourneraient plus rond, non? Bravo pour cet article

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  15. Anonyme09 h 36

    Bravo pour cet article. Il est vrai que l'on devrait plus souvent s'indigner plutôt que de baisser les bras. J'avais lu ce texte de Mathieu Perreault et nous aussi à la librairie où je travaille étions scandalisés par la piètre qualité du choix et surtout le manque de professionnalisme de la Presse et du journaliste.

    Susane

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  16. Quel plaisir de te retrouver, Andrée! Ton billet est criant de vérité et mériterait d'être diffusé sur toutes les tribunes!

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  17. Merci à tous pour votre intérêt, votre appui, votre indignation!!! Surtout pour votre indignation. J'aime constater que je ne suis pas toute seule à m'énerver de la médiocrité qu'on retrouve (hélas trop souvent) dans les critiques littéraires...

    J'ai fais suivre mon texte à l'AEQJ et à l'UNEQ. L'AEQJ a décidé de protester dans un communiqué qui sera envoyé à la Presse demain.

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  18. Andrée, je suis à l'extérieur, je viens juste de lire ce billet. Bravo! Super! On s'était courriellé à ce sujet, mais là, pan! Tu fesses dans le dash! Je transmets sur mon Twitter.

    Je plussoie Marie-Josée Martin et je vote pour toi à La Presse. Quelqu'une qui s'y connait et qui sait de quoi elle parle en matière de littérature jeunesse, ça les changerait.

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  19. Dire que la section Livres de La Presse est indigente relève de l'euphémisme ! Mais que voulez-vous, sans doute ne faut-il y voir que le reflet de ce triste problème : l'attention qu'un journal peut accorder à une section relève de l'intérêt que les annonceurs y portent. Par exemple, l'aventure du défunt journal culturel ICI s'est terminée pour ces raisons. Étant donné les moyens des éditeurs québécois, animer une section Livres étoffée, même dans un « grand » journal, relève de plus en plus de l'utopie. C'est un vaste - et encore une fois, triste - conflit d'intérêt économique. La réelle attention portée aux livres ne se retrouve plus aujourd'hui que dans les médias alternatifs ou chez les « amateurs » passionnés !

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  20. Éric Bouchard: Mais là, c'est le problème de la poule et de l'oeuf... Si on ne parle de livres que dans les médias alternatifs, comment le public augmentera-t-il, comment les ventes grimperont-elles, comment les annonceurs pourront-ils être aguichés???

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  21. Tout à fait d'accord avec vous.

    Hélas, parler de livres peu connus dans l'espoir qu'ils le deviennent relève d'une vision à long terme, peu compatible il me semble avec les objectifs de rentabilité à court terme d'un annonceur (ou de quelconque «gros joueur».

    Raison pour laquelle par ailleurs (désolé pour le raccourci) on travaille le fonds dans les librairie indépendantes et des piles de best-sellers dans les chaînes de librairie...

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  22. Andrée, le saviez-vous? Bibliothèque et Archives nationales du Québec et l'UQAM s'intéressent au rôle de la littérature jeunesse dans le développement du sens critique et philosophique chez l'enfant : http://www.fabula.org/actualites/developper-l-enfant-philosophe-et-critique-par-la-litterature-jeunesse-dans-la-societe-du-savoir-_45981.php. Cela notre qu'il y en a au moins qui reconnaissent l'importance de cette littérature!

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  23. Marie-Josée: Hé ben dis donc, c'est formidablement intéressant ce futur colloque... J'ai mis ça dans mes dossiers à suivre. Merci pour l'info!

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