Le 25 décembre 2013, en soirée, un jeune homme s’est jeté dans la rivière des Outaouais. Il faisait -20°C. Ce qu’on appelle un froid sibérien. Avec un vent à écorner les bœufs.
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Il est environ 23h et nous revenons du traditionnel souper de Noël chez mes parents. Nous roulons sur la promenade John A. Macdonald qui longe la rivière Outaouais. Tout à coup, nous apercevons un homme – grand, baraqué – debout au bord de la route. Il agite les bras en appel à l’aide. Les voitures qui nous précèdent filent sans s’arrêter. Nous aussi.
Puis mon conjoint dit : « Je crois que quelqu’un a besoin d’aide. » Il arrête sur l’accotement de la route et nous reculons jusqu’à l’homme.
Plus tard, après l’incident, sa décision de faire demi-tour me reviendra en mémoire et j’aurai une bouffée de fierté. Malgré sa prudence légendaire et sa propension à imaginer le pire, mon conjoint a décidé d’aider cet étranger dans la nuit.
Je baisse ma fenêtre et le colosse me dit : « I fell in the river ».
Il fait -20°C. Avec un vent à faire frémir le béton.
Je descends de la voiture et en voyant l’état du jeune homme, je crie à ma fille (celle qui a toujours le téléphone cellulaire vissé à la main): Appelle 911!!
Dans ses vêtements raides de glace, le colosse grelotte si fort qu’il peut à peine parler. En attendant l’ambulance, on l’installe dans notre voiture. On tente de lui enlever ses bottes, deux lourds blocs glacés.
Ma fille aînée met sa tuque sur la tête du colosse. Elle lui demande son nom. Il finit par bégayer : Bruce. Ma fille met ses bras autour du cou de l’homme, pour lui donner un peu de chaleur humaine.
Plus tard, après l’incident, son geste me reviendra en mémoire et j’aurai une bouffée de fierté… ma grande timide qui a mis ses bras autour d’un étranger.
Ma fille cadette elle, se poste au bord de la route, pour attendre l’ambulance et leur signaler notre présence.
Plus tard, après l’incident, sa détermination me reviendra en mémoire et j’aurai une bouffée de fierté pour ma petite, bravant le froid mordant et le vent glacial dans sa jupe de Noël et ses collants trop minces.
Lorsque l’ambulance arrive enfin, nous sommes soulagés tous les quatre de remettre notre rescapé, toujours secoué de douloureux soubresauts, entre les mains compétentes des ambulanciers. Deux policiers, arrivés au même moment sur les lieux, nous demandent d’attendre un peu avant de partir. Ils descendent un peu plus bas, dans le stationnement qui longe la rivière, où ils fouillent une voiture vide. Ils reviennent nous poser des questions sur l’homme. À part son nom, à part sa douleur, on ne sait rien lui. Un des policiers nous dit que l’homme a laissé une note dans sa voiture. Il ne nous a pas dit ce que le colosse a écrit sur la note.
On a compris. C’est Noël, mais ce jeune homme voulait mourir.
Nous rentrons à la maison, bouleversés par l’incident. Il est minuit passé, mais personne ne va au lit. Nous sommes encore surexcités, sous l’effet de l’adrénaline, de l’émoi, de la compassion. Les filles posent des questions, font des hypothèses. Est-il en danger de mort par hypothermie? Va-t-il perdre ses pieds? Pourquoi a-t-il tenté de se suicider? Pourquoi a-t-il changé d’idée? Est-ce que son instinct de vie a été plus fort que son désir de mort?
Le lendemain, j’appelle au poste de police et à l’hôpital pour prendre des nouvelles de « notre » rescapé. Comme je ne connais pas son nom de famille, personne ne veut me donner d’information. On ne veut même pas me confirmer que Bruce est toujours vivant.
C’est absurde, je sais, mais d’avoir aidé ce jeune homme dans son moment de grande détresse, me donne l’impression que j’ai le droit de lui dire : vis ta vie jusqu’au bout! Sois heureux!
Égoïstement, j’aime penser que Bruce a déballé des cadeaux ce 25 décembre. Qu’il a mangé un peu trop de tourtière. Qu’il a chanté les sempiternelles ritournelles de Noël. Qu’il a senti les bras d’une femme ou d’un enfant se serrer autour de son cou.
J’aime penser que Bruce a pu admirer la beauté de la rivière glacée, sans avoir envie de s’y jeter.
J'ai la chair de poule! Quelle histoire émouvante! Dans un monde effréné où les heures sont si précieuses, il fait bon de savoir qu'il y a encore des gens comme vous qui donnent le meilleur d'eux-mêmes! Merci
RépondreEffacerPoint de départ de ton prochain roman, Andrée:
RépondreEffacerChapitre 1 : Pourquoi?
Chapitre 2 : Et après.
Et mes meilleurs souhaits des Fêtes, pour sûr, ainsi qu'un câlin à toutes (note le féminin). N'oublie quand même pas de transmettre ma plus chaleureuse amitié au conjoint de ton histoire.
Très belle histoire qui, effectivement, serait un excellent point de départ pour un roman.
RépondreEffacerAndrée, je n'étais pas au courant de cette situation. Toutefois, je te reconnais, ainsi que les membres de ta famille, dans votre accueil aux autres.
RépondreEffacerMerci d'avoir partagé tes souvenirs dans ce texte empreint d'humanisme.
Carole: toi aussi tu donnes le meilleur de toi-même!
RépondreEffacerCamille: j'ai déjà trop de projets de romans en cours, ne m'en rajoute pas un autre!
Il allait mourir gelé. Votre chaleur humaine l'a sauvé. Et il renaîtra, grâce à vous quatre.
RépondreEffacerCe moment vécu en famille vous appartient.
Comme une pierre précieuse déposée au fond de vos coeurs.