dimanche 15 novembre 2009

Ni aspartame, ni scène braillarde dans ce roman...



Je compte les morts, Geneviève Lefebvre, Libre Expression. 320 pages

Je la lisais, avec moult délices, depuis déjà un certain temps sur son blogue. Alors quand j’ai su que Geneviève Lefebvre publiait son premier roman, j’ai tout de suite voulu le lire. J’avais peur d’être déçue. Un peu. Beaucoup. Je ne l’ai pas été. Même pas un peu. Surtout pas beaucoup.

Je ne vais pas m’étendre pendant de longs paragraphes à raconter l’intrigue de ce simili-polar, car là ne se trouve pas le plaisir. Disons simplement que ce récit suit Antoine Gravel, 37 ans, scénariste de son métier, cocu de son statut, dans une aventure rocambolesque. Quand il se voit offrir un contrat pour écrire un scénario de film sur Maria Goretti (celle qui a dit non…), l’Antoine saute sur l’occasion de se faire du pognon. Sa recherche l’amène à fréquenter Pointe-Saint-Charles, quartier défavorisé de l’est de Montréal. Il y rencontre une panoplie de personnages, tous plus poqués les uns que les autres: une ancienne junkie, des adolescentes paumées, des délinquants, un « bouncer », etc. Au même moment, le quartier est bouleversé par plusieurs meurtres de jeunes filles.

On n’est pas ici dans le pur polar, avec une intrigue tricotée serrée qui nous tient en haleine. Non. Le grand attrait de ce récit, c’est la manière qu’a Geneviève Lefebvre de nous raconter le monde ordinaire, des gens poqués par la vie, ce qu’elle appelle le « white trash » de Montréal. Ils sont pauvres, pas éduqués, pas toujours très beaux, parfois kétaines, mais elle nous les fait aimer, ces sympathiques « losers » malgré leurs tares et leurs faiblesses.

D’autres éléments que j’ai aimés dans ce roman inclassable? Voici :

Geneviève Lefebvre n’a pas peur de tremper sa plume dans le glauque, de nous montrer le laid. Elle ne ménage pas le lecteur, ne rajoute pas la plus petite pincée d’aspartame pour adoucir la misère ou la mocheté. Mais elle glisse ça et là de fulgurants éclairs de tendresse. Ce qui rend son roman si fascinant, c’est justement ce mélange de violence et de douceur et l’auteure les oppose si habilement qu’ils nous semblent encore plus intenses.

Je compte les morts distille des émotions fortes mais pas une once de sentimentalité. J’adore d’ailleurs cette phrase d’un des personnages (la productrice de cinéma): « Je ne veux pas de scène braillarde dans le film, tu sais, la fameuse scène où la fille craque et qu’on voit son côté vulnérable ».

La créatrice de Chez Jules n’a pas son pareil pour les chutes de chapitres. Presqu’à tout coup, elle réussit à terminer ses chapitres sur un coup de poing, un punch ou un point d’interrogation. Cette dame a un sacré talent pour harponner son lecteur.

J’ai jouis aussi de l’ironie suave qui se pointe le nez ici et là, surtout dans les dialogues, où l’on voit l’expérience et l’expertise de la scénariste aguerrie.

Et que dire du don de Geneviève Lefebvre pour les formules choc. Je vous en donne un seul exemple, celui où elle décrit les femmes de Pointe-Saint-Charles qui vieillissent trop vite. « Cinq ans! C’était le temps que ça prenait pour qu’une femme se décompose à grands coups de défaites, d’enfants vite faits et de raviolis en boîte. »

Dernière découverte jubilatoire que j’ai faite en lisant la section Remerciements à la fin du roman. Geneviève Lefebvre cite mon précepte préféré d’Einstein, une maxime que j’aurais bien voulu insérer en exergue de cet album, mais mon éditrice avait refusé, arguant que ça faisait trop sérieux pour les enfants. Voici ce que dit ce cher Albert: « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les ont laissé faire. »

Voici les autres livres dont j’ai parlé samedi matin, à l’émission à Radio-Canada. La chronique peut-être écoutée sur la page web de l’émission Les Divines Tentations, ici.



Trois tasses de thé, Greg Mortenson et David Oliver Relin. Glénat Québec.
Ce récit bourré d’aventures et de culture (celle des Musulmans du Pakistan), raconte l’initiative de Greg Mortenson, un Américain qui a contribué à construire des écoles au Pakistan et en Afghanistan. Le bouquin a été publié dans 20 pays et s’est vendu à 2.5 millions d’exemplaires aux USA. Un livre inspirant, sur lequel je reviendrai avec plus de détails cette semaine.






L’État du Monde 2010 Le grand tournant? La Découverte/ Boréal. 336 pages.
Dans cet État du monde « nouvelle formule », l’achat du livre donne l’accès gratuit au site pendant un an. Le bouquin offre 50 articles pour comprendre les grands changements dans le monde au cours de la dernière année, avec des sections thématiques sur l’économie, la politique, l’environnement, les nouvelles technologies, etc.
Un article sur le problème de la faim dans le monde m’a fait sursauter. L’auteur y condamne les politiques de la Banque Mondiale, qui ont poussé certains pays du Sud à abolir le crédit public aux paysans, forçant ces petits producteurs à se tourner vers des prêteurs et à s’endetter massivement. En Inde, 150 000 paysans se sont suicidés au cours des derniers 10 ans à cause de ces politiques.




Trente. Association des auteurs de l’Outaouais. Vents d’Ouest. 240 pages.
Ce collectif de nouvelles souligne les 30 ans de l’Association des auteures et auteurs de l’Outaouais. Plus d’une vingtaine d’auteurs y signent des textes très variés, du poétique au terre-à-terre en passant par la fantaisie et l’humour.

vendredi 13 novembre 2009

Faire danser les ours plutôt qu'attendrir les étoiles


L’accomplissement suprême, c’est d’arriver à brouiller la frontière entre le travail et le jeu, disait un historien britannique.

Eh ben, cette semaine, j’ai écouté un auteur qui semble l’avoir atteint, cet accomplissement suprême. Qui semble sincèrement S’AMUSER à écrire. Ce créateur à la fois détaché et passionné, sérieux et facétieux, s’appelle François Gravel.

Plusieurs fois, au cours de ce café littéraire organisé par la Bibliothèque publique de Gatineau, il est revenu sur son plaisir d’écrire. À 58 ans et avec 57 livres publiés derrière la cravate, il affirme haut et fort qu’écrire le fait encore jouir. « Il faut que ce soit le "fun" sinon j’arrête», a-t-il indiqué. En fait, il a l’intention d’écrire jusqu’à l’âge de 85 ans, puis de prendre deux semaines de vacances.

Voici quelques-unes des perles qu’il a lancé dans l’auditoire: (et non, pour les esprits tordus, il n’y avait aucun pourceaux dans la salle…)

Au cégep, il détestait ses cours de français, ce qui l’a aiguillonné vers des études en économie.

Modeste, il se décrit comme un conteur plutôt qu’un littéraire. Il ne cherche pas à renouveler la langue mais simplement à raconter une bonne histoire.

Il a plus de plaisir à écrire pour les enfants que pour les adultes.

Il écrit trois heures par jour et il est de mauvaise humeur quand il n’a pas écrit pendant quelques jours.

Il a été membre du jury du prix du Gouverneur général, l’année où Michèle Marineau a reçu cet honneur pour son roman La route de Chlifa. Cette auteure talentueuse, que François Gravel n’avait alors jamais rencontrée, est par la suite devenue sa femme.

De ses 57 livres en circulation, il y en a un seul qu’il regrette d’avoir publié, estimant qu’il n’est pas à la hauteur.

Son livre dont il est le plus fier est Zamboni. Il a eu cette très jolie image pour le décrire: «Il est comme un œuf, il est plein.»

Une fois qu’il a publié un livre, il ne le relit jamais. « C’est comme entendre sa voix ou se revoir sur des photos. Je n’aime pas ça. »

Sa blonde (également auteure) fait des plans à n’en plus finir avant de commencer un roman tandis que lui ne fait jamais de plan.

Il lui est arrivé – quatre ou cinq fois (oh my God!) de jeter un manuscrit de roman à la poubelle, le jugeant trop mauvais.

Il ne sait pas si ses meilleurs livres sont devant lui ou derrière lui.

Il rêve encore d’écrire un GRAND livre. Il a terminé en citant Flaubert: «La parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles.»

mardi 10 novembre 2009

La boue, ce « désespoir du soldat »


Cet automne, j’ai passé plusieurs jours avec un jeune Acadien dans la vingtaine. J’ai suivi Théodore Dugas dans les tranchées boueuses du nord-ouest de la Belgique, au cœur des combats les plus meurtriers de la Première Guerre mondiale. Plongée dans son journal de guerre, je l’ai suivi pendant quatre années aux champs de bataille, à travers le froid, la faim, la peur, à travers les obus, les camarades blessés ou déchiquetés par les bombes.

Bien qu’il ait été blessé à deux reprises, Théodore Dugas est retourné au combat, même si on lui avait offert un poste dans un bureau de l’armée. En septembre 1918, il est blessé une troisième fois. Cette fois, la balle traverse ses vertèbres dorsales. Paraplégique, le caporal est rapatrié au Canada, où il meurt après quelques mois de souffrances terribles.

Des carnets de guerre de Théodore Dugas, je devais choisir des extraits et rédiger des liens de narration pour un scénario de huit minutes, commandé par la CCN à l’occasion du Jour du Souvenir.

À la lecture des carnets du soldat Dugas, je n’ai pu faire autrement qu’admirer son stoïcisme. Malgré ses descriptions détaillées de la barbarie de la guerre, cet Acadien courageux ne se laisse jamais verser dans l’apitoiement.

Paradoxalement, un des passages qui m’a le plus émue, c’est quand le jeune caporal parle de la boue, l’omniprésente boue des tranchées. Cette boue, il l’appelle « le désespoir du soldat ».

Et je l’ai imaginé, ce jeune Dugas, pataugeant dans la boue, grelottant dans la boue, mangeant dans la boue, dormant dans la boue, se battant dans la boue, chiant dans la boue, pleurant dans la boue, traînant les blessés dans la boue, abandonnant les morts dans la boue. Et j’ai compris pourquoi cette maudite boue était le « désespoir du soldat ».

Si on forçait les armées modernes à vivre dans la boue quelques semaines, y compris les généraux – surtout les généraux! – la paix serait peut-être plus vite négociée.

dimanche 8 novembre 2009

J’ai pleuré en lisant ce roman mais j’ai oublié de quoi il parlait...



J’ai reçu cette semaine un courriel d’un éditeur scolaire, qui demandait mon accord pour reproduire une de mes critiques littéraires dans un manuel destiné à des étudiants du secondaire. Publié dans Le Droit en 1994, le texte s’intitulait Lettre ouverte à Réjean Ducharme.

Ce titre ne me disait rien. Je ne me souvenais pas – mais vraiment pas – d’avoir écrit à Réjean Ducharme. Heureusement, l’éditeur avait pensé à m’envoyer copie du texte en question, car moi je n’ai presque rien gardé des centaines de critiques littéraires que j’ai écrites pour Le Droit en douze ans de «chroniqueries ».
J’ai donc relu ma lettre au père de L’avalée des avalées.

Et je me suis souvenue que j’avais pleuré en lisant Va savoir.

Je me souviens d’avoir été fortement émue par la force des images, par l’intensité des émotions.
Mais ce qui est le plus étrange (et un peu honteux, avouons-le), c’est que je me souviens à peine du roman, de l’histoire, des personnages.
Je ne comprends pas ma mémoire et je lui en veux à cette étrange bête de m’avoir laissé oublier les détails de ce roman qui, quinze ans plus tôt, m’a fait interpeller Réjean Ducharme avec autant de ferveur.

Et vous, votre mémoire, elle vous trahit aussi bassement que ça?


Lettre ouverte à Réjean Ducharme
Le Droit
Arts et spectacles, samedi, 12 novembre 1994, p. A6


Salut Réjean Ducharme,
Je t’écris comme on jette une bouteille à la mer. Sans savoir où, ni quand elle échouera. Dans le ventre d’un béluga, sur un tas d’algues pourries, dans un mois, dans dix ans? Va savoir…

Justement, je t’écris à cause de ton Va savoir. Les médias en parleront sans doute beaucoup ces jours-ci. Surtout si tu rafles le Renaudot, le Médicis, le Prix du gouverneur général ou le Grand Prix du livre de Montréal, tous annoncés prochainement. Des prix littéraires, tu en as déjà toute une moisson. Ce n’est sûrement pas quatre de plus qui te feront sortir de ta cachette.

Comme on ne se rencontrera jamais, je m’offre le luxe d’une lettre ouverte. Et le luxe aussi de te tutoyer. D’ailleurs, il me semble voir ta réaction si j’écrivais «vous»: le sourcil relevé, politiquement perplexe, l’air de dire, qu’est-ce qu’elle a celle-là à faire des manières? Donc, je te tutoie sans te connaître. Mais quand on a fait pleurer ses lecteurs, il faut bien ensuite tolérer leur familiarité. Surtout lorsqu’elle s’exerce à distance.

Je voulais t’écrire pour te répéter une évidence. Te dire ce que tu sais déjà. Car tu le sais, n’est-ce pas? Les critiques, en France comme partout au Québec, l’ont déjà assez proclamé : « Un chef d’œuvre… »

Je voulais te répéter que ton roman est de ceux qu’on marque d’une pierre blanche. Un roman dont on parle à tous ses amis mais qu’on ne prête pas. Un roman qu’on relit un jour de cafard. Un soleil inextinguible parmi nos souvenirs littéraires.

J’avais gardé ton livre pour mes vacances, pour le lire en toute lenteur, sans interruption. Les livres remarquables sont si rares qu’il faut les traiter avec respect. On ne les lit pas à la pause-café ou en attendant l’autobus, à la va-vite.

L’instinct a ça de bon qu’il nous avertit du danger et aussi des grandes joies à venir. Avant même d’avoir ouvert la première page de Va savoir, mon instinct m’avait prévenu que je sortirais chavirée de cette lecture.

Depuis ma découverte flamboyante de L’amour au temps du choléra, de Gabriel Garcia Maquez, je n’avais jamais lu une histoire d’amour aussi intense, aussi désespérée.

Je me suis si bien glissée dans l’univers de Rémi Vavasseur, de la sensuelle Mary, de fille Fannie, de Jina la dure-à-cuire, que je ne voulais pas sortie de Va savoir. Tu as rendu tes personnages si vrais, si présents, que lire la dernière page du roman était comme entrer en deuil.

La beauté pure remue. J’ai pleuré donc.

Comme bien d’autres, je me suis demandé : qui est cet homme capable d’écrire des pages si chaudes qu’elles vous brûlent entre les mains? Si tendres qu’on a envie d’embrasser la couverture blanc cassé de Gallimard?

Que tu sortes ou non de ton anonymat, cher Réjean Ducharme, que tu gagnes ou non le Renaudot, au fond, ça n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est qu’on puisse lire tes livres. Après avoir lu Va savoir, je voulais te répéter les mots les plus clichés mais les plus significatifs que l’on puisse dire à un écrivain: Merci. Encore.

jeudi 5 novembre 2009

J'aurais voulu voir l'oeil de bouc


Je reviens d’une virée de trois jours à Winnipeg, dans le cadre de la tournée Lire à tous vents. J’ai aimé ce bain éclair dans la culture manitobaine.

Petit pot-pourri de plaisirs vus et entendus:
- Je suis allée dans les écoles des villages de St-Pierre Jolys, Lorette, St-Norbert, Ste-Anne. Ces petits ilots francophones m’ont rappelé Astérix et Obélix et ce village têtu de la Gaule qui résiste à l’envahisseur…
- J’ai vu à l’œuvre une conseillère pédagogique modèle, passionnée par les livres et ardemment engagée pour transmettre aux jeunes son amour de la langue française.
- À force de sillonner les plaines, ça m’a donné envie d’aller ici, écouter cette chanson indémodable d’un fils du Manitoba. Oui, Daniel Lavoie, je l’entends gémir la langue de votre mère…
- Je n’ai pas compris la controverse autour de la sculpture de Louis Riel nu, qui m’a paru frappante, sobre et digne.
- J’ai souhaité que le frimas descende sur nous pour voir mon premier œil de bouc. Mais les grands froids sont restés au Nord…
- J’ai écouté des enfants de six ans chanter du Beau Dommage accompagnés à la guitare par leur enseignant, le dynamique et dévoué Monsieur Pierre.


- Dans la maison de Gabrielle Roy, sur la célèbre rue Deschambault, une gentille guide bénévole m’a raconté en long et en large les étapes de restauration de la maison. Mais je n’ai pas appris grand-chose sur l’âme ou l’art de l'auteur de Bonheur d'occasion.


- Dans une classe de première année, j’ai vu un petit garçon déplacer avec mille précautions sa guitare imaginaire. Il avait l’air tellement sérieux, tellement intense, que j’aurais voulu le chatouiller pour l’entendre rire. J’aurais voulu lui donner un de mes livres, la KitKat que j’avais dans mon sac, un bisou sur la joue. Mais l’auteure en visite n’a pas le droit d’avoir des chouchous.
- J’ai été charmée par l’accueil chaleureux des Manitobains, qui vous regardent dans les yeux, vous lancent un bonjour bien franc, semblent contents de vous voir et n'ont pas l'air de faire semblant.
- J’ai échangé un de mes albums contre un dessin d’un garçon de troisième année (dessiné pendant ma présentation). Il m’a offert le sourire vainqueur d'un gagnant de loterie et je me suis sentie aussi triomphante que lui.
- J’ai vu une lune ronde et pâlotte s’incruster dans le ciel au-dessus du pont Provencher, à huit heures du matin. Cette rebelle refusait d’aller se coucher.
- Je me suis assise devant la lucarne du grenier où Gabrielle Roy a commencé à écrire. La gentille guide m’a dit que cette chambre célèbre avait inspiré bien des artistes. J’ai attendu patiemment l’inspiration. Elle n’est pas venue.

mardi 3 novembre 2009

J’ai failli être célèbre en Allemagne


J’ai failli être célèbre en Allemagne. Ben, euh, c’est-à-dire que je me suis imaginé, pour un bref instant, que je pourrais peut-être toucher la gloire au pays d’Angela Merkel… Je me suis laissé voguer sur une jolie chimère : mes livres seraient traduits dans la langue de Goethe et lus par des masses de petits Allemands aux quatre coins du Deutschland.

Pour un moment amèrement fugace, j’ai manqué de lucidité et j’ai glissé vers l’irrésistible attrait de la gloire, l’appel envoûtant de la renommée…

Tout a commencé avec ce foutu courriel que j’ai reçu. Un message entièrement en allemand. Hein? Quoi? Les seuls mots que je comprenais dans ce courriel étaient le titre d’un de mes romans Les Impatiences de Ping. Alors moi, dans ma vanité d’auteure, j’ai aussitôt fait un lien avec un autre courriel, reçu quelques mois plus tôt, d’une enseignante au Département de français de l’Université York, qui me disait qu’elle allait présenter mon roman sur Ping au Congrès biennal de la International Research Society for Children’s literature qui avait lieu cet été à Francfort.

Ne faisant ni de une, ni de deux, je saute à pieds joints sur la conclusion qui me plaisait le plus: cette chercheure avait présenté mon roman au congrès et les éditeurs éblouis par le charme de ma prose se ruaient pour acheter les droits de publication.Je rêvais déjà d’une montée des enchères entre divers éditeurs. Je me voyais déjà reine de la Foire du livre de Francfort, attirant devant ma table un interminable cordon de lecteurs, des files encore plus longues que celles suscitées par une nouveauté de Janette Bertrand ou de Jacques Demers…

Trépignant d’expectative, j’ai expédié illico le fameux courriel à mon beau-frère, qui parle l’allemand.

POW! Froutttt.... (son d'un ballon (ou d'un égo?) qui se dégonfle...)

Dans ce fameux courriel, les organisateurs du congrès me disaient avoir trouvé une trousse pédagogique sur Les Impatiences de Ping et me demandaient s’ils devaient me retourner ou pas ce document.

Et voilà mes rêves de gloire et de grandeur anéantis d'une seule petite traduction...
Si le ridicule tuait, je serais morte sur-le-champ.

Même après moult années de fréquentation de la jungle de l’édition jeunesse, même après m’être frottée plus souvent qu’autrement à la cruelle réalité du milieu littéraire, il semble que je nourris encore (à mon corps défendant) des désirs de gloire, des envies de frapper le filon d’or (lire best-seller). Malgré mon apparente lucidité, je garde toujours espoir d’acquérir un vaste lectorat, j’ai malgré tout cet appétit pour une place un peu plus grande sous les feux de la rampe…

Elle se calme à quelle heure, la soif de reconnaissance?

lundi 2 novembre 2009

«Pourquoi vivre si on ne fait rien après avoir rêvé de tout? »


Gil Courtemanche, Le Monde, le lézard et moi, 232 pages. Boréal

Dans ses chroniques pour Le Devoir, Gil Courtemanche fait souvent se côtoyer dénonciation et indignation. On retrouvait, à fortes doses, ces mêmes ingrédients dans son roman Un dimanche à la piscine à Kigali. Contrairement à ce que suggérait le titre, ce roman sur le génocide au Rwanda n’avait rien d’enchanteur et d’ensoleillé. Le journaliste devenu romancier décrivait la cruauté humaine dans ce qu’elle a de plus profond et de plus terrible.

Avec Le Monde, le lézard et moi, Courtemanche présente encore une fois un drame africain, dans ce cas-ci, un conflit entre deux groupes ethniques au Congo, qui se disputent la province de l’Ituri, riche en or et en pétrole. Le personnage principal, Claude Tremblay, est analyste politique à la Cour pénale internationale à La Haye. Il travaille avec acharnement sur le dossier d’un chef de guerre congolais qui embrigade des enfants pour devenir soldats, qui a violé à répétition et causé des milliers de morts.

Ambitieux sur le plan thématique, ce roman pose les Grandes questions: jusqu’où peut aller la Justice avec le grand J, jusqu’où pousser l’engagement?

On n’a pas affaire ici à un auteur qui trempe dans le littéraire. Gil Courtemanche met plutôt l’accent sur les idées, les convictions et la dénonciation. On lit des témoignages bouleversants d’enfants soldats et de femmes violées. On trouve toutefois des scènes très belles, très sensuelles, entre le narrateur et une Africaine qu’il a envie d’aimer. Le talent d’écrivain de Courtemanche se manifeste davantage dans ces scènes plus tendres.

Loin du divertissement bonbon, ce livre dur brasse et bouleverse, mais offre une intrigue habilement ficelée ainsi qu’un portrait solidement documenté d’une partie du monde dont on ne parle pas assez.

Cette citation, frappante d'espoir ET de désespoir, illustre bien l’idéalisme de l’auteur (et de ses personnages): «Pourquoi vivre si on ne fait rien après avoir rêvé de tout? »

Voici les autres livres dont j’ai parlé samedi matin, à l’émission à Radio-Canada. La chronique peut-être écoutée sur la page web de l’émission Les Divines Tentations, ici.


Myriam Beaudoin 33, Chemin de la baleine, Leméac ,192 pages

Son Hadassa a été pour moi une lecture si prenante, si envoûtante, que je me suis promis de relire ce roman si beau, sur l’expérience d’une enseignante de français dans une école juive orthodoxe.

Myriam Beaudoin revient ici avec une histoire d’amour, l’histoire d’un grand amour désespéré. Le roman s’ouvre sur le portrait d’une vieille dame, qui a une moitié du crâne chauve et une oreille qui manque. On comprend tout de suite que le drame a frappé durement dans sa vie.

Moins original, moins lyrique que Hadassa, ce roman a cependant une charge émotive très intense. Oh, comme on s’attache à cette femme aussi éperdue qu'inconsolable et comme on veut que l’amour, le vrai, s’avance vers elle. Tableau évocateur du Montréal des années 1950, portrait poignant d’un amour tragique, ce roman confirme le talent indéniable de Myriam Beaudoin.



Alexandre Jardin Quinze ans après Grasset. 354 pages.

A-t-il eu trop de pressions de son éditeur? De ses lecteurs? Comment savoir? En tout cas, Alexandre Jardin a succombé à la tentation de la suite. Quinze ans après ramène donc le couple dorénavant célèbre de son roman archi-populaire Le Zèbre. Alexandre tentera, une fois de plus, de séduire Fanfan et de l’amener vers les joies du mariage.

Si l’histoire sent un peu le réchauffé, j’ai néanmoins été fascinée par l’agileté de la plume de Jardin, sa virtuosité avec les mots. Il a un style d’une élégance rare, qui fait un peu ancien français, toute en fioritures, frôlant parfois le tape-à-l’œil. Ce style, Alexandre Jardin l’assume et en est fier. Il a d’ailleurs dit en entrevue au Parisien qu’il était en guerre contre l’écriture maigre. «Parce que je ne vois pas comment être un écrivain de la joie en écrivant maigre. Mais je vois bien que l’essentiel de mes contemporains évoluent vers un style lyophilisé.»

Alexandre Jardin reste ici dans la même veine que pour ses romans précédents:c’est gai, charmant, follement romantique. Mais au risque de passer pour une nostalgique bougonne, je dirai que cette suite n’a pas la fraîcheur, ni le punch du Zèbre.



L'Anniversaire d'Astérix et Obélix, le livre d'or. 54 pages Les Éditions Albert René.
Astérix et Obélix ont 50 ans. Hé oui, le petit malin moustachu et son complice «quelque peu enrobé» célèbre leur demi-siècle. Time flies!

Ce duo célèbre, qui a transformé l’univers du 9e art, a eu un succès phénoménal : 325 millions d'albums vendus dans 107 langues, sans compter les trois films et les neuf dessins animés.

Dans L’Anniversaire d’Astérix et d’Obélix, on trouve plein de jeux de mots et de clins d’œil à des situations familières: la potion magique, les baffes en rafales, la chasse au sanglier et le besoin de résister à l'ennemi tout-puissant.

Ce 34e album de la série n’offre pas une seule histoire, mais plutôt une série de tableaux d’humour, un peu inégaux. Albert Uderzo fait entrer Astérix et Obélix dans l'art classique. Mes planches préférées: celles où l’on voit Obélix dans la pose du penseur de Rodin et Falbala en Joconde.