lundi 16 janvier 2012
Cinq ans pour illustrer un album: prendre le temps d’approfondir son art
Au rang des meilleurs illustrateurs du Québec, Stéphane Poulin (aucun lien de parenté avec moi) nous a donné Petit zizi, Les amours de ma mère, Vieux Thomas et la petite fée. Voici qu’il nous offre maintenant Au pays de la mémoire blanche, un fabuleux album graphique sur un texte signé par l’auteur français Carl Norac.
J’ai parlé de cet album hors normes, samedi dernier, aux Divines Tentations de Radio-Canada. Une histoire remplie de mystères, d’indices discrets, de drames, de violence subtile et de violence flagrante. Ce livre troublant, complexe et riche offre une réflexion (ni appuyée, ni moralisatrice) sur l'intolérance, le racisme, les ghettos, la perte d'identité, etc. En contrepoids, Carl Norac parle aussi de dignité, de liberté, de rêve et d'entraide.
Au-delà de ce texte fort et des illustrations si puissantes, c’est la démarche de Stéphane Poulin qui m’épate. L’artiste a mis cinq ans pour illustrer cette histoire. Cinq ans! J’admire cette volonté, ce courage aussi, de prendre le TEMPS pour créer. De laisser le TEMPS à l’œuvre d’émerger, à la création de s’affiner, au talent de s’approfondir. À l’ère de l’instantané, du « tout, tout de suite », de la gratification immédiate, Stéphane Poulin s’offre le luxe (qui est aussi un sacrifice financier) d’approfondir son art, de se donner le TEMPS pour se dépasser. Il y a dans cette approche de la création une sorte de pureté (car dénuée de toute intention commerciale) qui m’impressionne profondément.
Aller jusqu'au bout
En ses propres mots, voici comment Stéphane Poulin décrit le processus de création de Au pays de la mémoire blanche:
« Nous sommes souvent confrontés au "temps" lorsqu'il s'agit de réaliser un livre. Cette contrainte est plutôt frustrante parce que je sens souvent que je ne suis pas allé "au bout". Les livres qu'on nous commande doivent toujours s'inscrire ou répondre aux critères d'une collection déjà existante (nombre de pages, âge des lecteurs, format du livre, etc...). Je désirais donc pouvoir réaliser un livre qui ne tiendrait pas compte de ces limites.
Carl et moi avons travaillé durant trois ans (à plein temps, en ce qui me concerne) à la réalisation d'une maquette noir et blanc du livre sans contrat (sans argent) et sans éditeur. Nous échangions par courriels les textes et les esquisses. Le livre s'est "arrêté de lui-même" au bout de trois ans.
Nous avions une version complète du livre, très achevée et entièrement réalisée au crayon de plomb que nous avons présentée aux éditions Sarbacane. Nous connaissions bien le travail de cet éditeur et nous pensions alors que nous avions de bonnes chances. Ils ont immédiatement accepté notre livre et il a même fallu les convaincre de me laisser du temps pour tout mettre en couleur. Les gens de Sarbacane m'ont versé une avance et m'ont accompagné durant deux ans pour la mise en couleur des planches.
Esquisse fournie par Stéphane Poulin.
Pour ceux qui s’intéressent à l’aspect technique :
« Les illustrations sont des huiles sur toile. La réalisation d'une seule page demande en moyenne une semaine de travail pour l'esquisse et une autre semaine pour la couleur. La technique employée pour l'huile est sensiblement la même que celle employée au 16e siècle par les peintres flamands et consiste en une succession de fines couches de couleurs appliquées les unes par-dessus les autres afin d'obtenir un fini "velouté" », explique Stéphane Poulin.
Au pays de la mémoire blanche. Carl Norac. Stéphane Poulin 128 pages. 150 illustrations couleurs. Éditions Sarbacane en partenariat avec Amnesty International.
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Très intéressant le parcours de cet illustre... illustrateur.
RépondreEffacerPoulin? Un petit lien de parenté? Excuse la généalogiste en moi qui voit des liens partout.
Marsi n'est pas surpris et déclare "Il n'a pas changé". Il était venu donner une conférence aux élèves en design graphique, dont Marsi (Marc Simard) était.
RépondreEffacerJe ne savais pas tout ce que tu nous révèles ici, c'est mon flair qui m'a mené vers cet album. Je l'ai fait venir de "Rue des libraires" et je l'ai donné en cadeau à Marsi. Pour Noël. C'est encore un cadeau puisqu'il se réserve la lecture et la "voyure" comme un dessert que l'on savoure l'estomac vide.
Chère généalogiste: aucun lien de parenté! Merci de poser la question, je vais souligner qu'il n'y a pas de lien de parenté, car je ne voudrais pas être accusée de népotisme...
RépondreEffacerVenise: j'aime bien l'image... le dessert savouré sur l'estomac vide.. j'ai trop tendance à manger mon dessert l'estomac plein...
Lire cet album, c'est se plonger dans l'expression même de ce qu'est une oeuvre d'art. L'auteur et l'illustrateur se sont unis dans une explosion de sensibilité, tant dans les textes que dans les illustrations.
RépondreEffacerÀ chaque lecture, on y découvre un aspect différent, on se raconte une histoire différente.
Merci Andrée, de nous avoir présenté la démarche de création qui éclaire et explique les très grandes qualités de ce "beau livre" !