Certains romans
sont des cris du cœur. Des cris feutrés,
subtils, parfois lyriques, mais cris tout de même. Ces cris, je les entendais tout au fil de ma
lecture du roman de Marie-Josée Martin. Beau paradoxe, ce roman qui ressemble à
un long cri s’intitule Un jour, ils entendront mes silences.
J’en ai parlé
aux Divines Tentations samedi dernier.
Ce livre nous
ramène à un épisode tragique et complexe de l’histoire canadienne : le
drame de Robert Latimer, ce fermier de la Saskatchewan, qui a tué sa fille en
1993 par empoisonnement à l'oxyde de carbone. Lourdement handicapée par une
paralysie cérébrale, Tracy, 12 ans, ne pouvait parler, ni marcher, ni
manger par elle-même. Le procès Latimer
a suscité un long débat (toujours pas réglé…) sur l'euthanasie au Canada.
Ce qui rend le roman fascinant - et déchirant aussi - c’est que Corinne a les facultés mentales d’une enfant normale. Elle comprend tout ce qui se passe autour d’elle, même si ses parents, eux, la sous-estiment et ne savent pas à quel point elle saisit tout ce qui se dit sur son compte…
On voit donc la vie ici à travers les yeux de cette fillette très handicapée. On la voit dans sa relation tendre et fusionnelle avec sa mère, qui se dévoue corps et âme pour sa fille, au détriment d’ailleurs de ses deux autres enfants. Malgré son dévouement, la mère éprouve des sentiments contradictoires : d’abord cette culpabilité qui la mine. Puis cette partie d’elle-même qui se retient de trop s’attacher à son enfant au corps si cassé, par peur de souffrir, car elle sait que sa fille risque de mourir à n’importe quel moment.
"Que quelqu’un t’aime assez pour te suicider à ta place"
Perspicace, Corinne sent aussi (cruellement) les réticences de son père, qui l'aime sans l’accepter telle qu'elle est. « Je ressens la brûlure de tous les baisers que m’a refusés mon père », dit-elle. Ce fermier a d’ailleurs pour son enfant l’une des déclarations les plus bouleversantes du roman : « Ton seul espoir, c’est que quelqu’un t’aime assez pour te suicider à ta place. »
Corinne, qui a 12 ans vers la fin du roman, est très lucide, ce qui la rend encore plus malheureuse. Elle voit bien que son existence même crée une tension constante entre ses parents, un poids énorme pour toute sa famille. La fillette sent que la vie de ses proches serait plus simple si elle mourait, mais elle garde quand même une forte envie de vivre.
Conjugué en mode tragique, ce livre offre aussi des éclaircies, des moments lumineux: le bonheur de l’enfant quand sa mère la fait danser dans son fauteuil roulant, son plaisir de boire un chocolat chaud devant un feu de bois, sa joie d’observer les oiseaux, etc.
Nous voici donc devant un roman dans la veine réaliste, avec une description sobre, mais jamais misérabiliste, des défis et des déchirements d’une famille aux prises avec un enfant lourdement handicapé. Marie-France Martin rend la voix de la petite fille de façon authentique et tout à fait crédible. On sent qu’elle a beaucoup retravaillé et longuement muri son livre. L’auteure présente un sujet complexe, avec beaucoup de finesse et de nuances, dans une langue élégante, qui flirte avec la poésie. Voilà un admirable « roman cri » qui mérite qu’on lui prête oreille.
Un jour, ils entendront mes silences, Marie-Josée Martin, Éditions David, 210 pages.
Andrée, je suis toute remuée. Merci.
RépondreEffacerÇa m'épate toujours un auteur qui choisit un personnage enfant pour écrire tout de même un roman pour adultes. Bravo à l'auteure et bravo à toi d'en parler.
RépondreEffacerDans certains cas, rapprocher la fiction de la réalité pour que l'une puisse, d'une certaine manière, répondre à l'autre de façon «réparatrice» ou morale relève de la démagogie et d'une manipulation certaine. Andrée, je n'ai pas lu le livre dont tu parles; je ne sais pas si tel est le propos de l'auteur. J'espère que non.
RépondreEffacerJ'ai connu cependant la réalité de Tracy Latimer. Le plus déchirant de son histoire est qu'elle n'aurait jamais pu se poser les questionnements de l'enfant du livre. Et, au risque de me répéter pour la énième fois, son père a mis fin à ses jours non parce qu'elle était lourdement handicapée, mais parce qu'elle souffrait et parce que le corps médical continuait un acharnement thérapeutique inhumain.
On voudrait tous que soit «rachetés» certains malheurs...Que «l'histoire» finisse bien. Or la réalité peut être fort différente.
Loïse
Merci Loïse de ton commentaire. D'accord avec toi: il faut dénoncer l'acharnement médical...
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