samedi 21 mai 2011

« Une goutte d’eau dans la canisse trouée de la misère humaine… »


Certains personnages de roman sont tellement bien campés, tellement complexes et captivants qu’on a envie qu’ils soient des humains en chair et en os. Qu’on a envie d’aller prendre un verre avec eux. Ça ne m’arrive pas souvent mais ça m’est arrivé avec David Dupuis, le héros de Versicolor. Après avoir terminé le roman, j’aurais aimé que cette fiction n’en soit pas pour que David Dupuis devienne mon ami. C’est vous dire la force du talent de l’auteur, Marc Forget.

J’en ai parlé samedi dernier aux Divines Tentations de Radio-Canada.

Médecin de profession, Marc Forget pratique dans le Grand Nord québécois et fait des missions pour Médecins sans frontières. Versicolor est son premier roman. Je croise mes doigts (et mes orteils!) pour qu’il en écrive d’autres.

Dans ce récit qui prend parfois une tangente documentaire (et je ne m’en plains pas), Marc Forget nous entraîne dans l’implacable réalité de l’aide humanitaire. David Dupuis, un jeune médecin qui travaille en Abitibi, décide d’aller travailler au Soudan pour se remettre d’une peine d’amour. Dans le camp de réfugiés, il voit la souffrance humaine à son plus nu, son plus cruel. Le jeune médecin doit se colleter quotidiennement avec le manque de ressources, la corruption et surtout, surtout, la mort.

On voit que Marc Forget connaît bien l’univers qu’il décrit : c’est dur et cru mais ça sonne authentique. Ses chapitres sur les péripéties du médecin au Soudan sont les plus fascinants et les plus denses du livre, rédigés avec sobriété, sans faire dans le sensationnalisme et sans tomber dans la mièvrerie.

Y’a pas que l’aide humanitaire dans ce roman-là. Il a aussi l’amitié et l’amour. Parce que ce cher David Dupuis tombe en amour au Soudan. Et là aussi, c’est intense, d’une sensualité à faire rougir votre grand-mère.

Marc Forget s’éparpille un peu dans son intrigue et l’histoire perd de son intensité lorsque le médecin développe un intérêt pour le cinéma. Mais au risque de me répéter, c’est le héros ici qui accroche et soutient l’attention. Avec ses défauts, sa fragilité, son regard sur les êtres et surtout, sa fabuleuse empathie, ce David nous tire vivement les cordes du cœur.

Comme si tout ça ne suffisait pas, Marc Forget a aussi le sens de la formule. Mon exemplaire de Versicolor est parsemé de petits autocollants de couleur, pour signaler des phrases à noter ou des passages à relire.

Quand David voit des bébés, des enfants mourir, il a ce constat merveilleux: « Dans ces moments, je songe à Dieu. Je n’y crois pas, mais quand je serai sur le point de mourir, je sais que je changerai d’avis. »

Ou encore, pour décrire son engagement au Soudan, le jeune médecin déclare qu’il met sa « goutte d’eau dans la canisse trouée de la misère humaine. »

Parfois, devant le livre d’un auteur inconnu, on tergiverse. Devant un roman qui ne figure pas sur la liste des best-sellers ou qui n’est pas porté par la vague médiatique, on hésite à prendre une chance. Aucune hésitation à avoir devant Versicolor. Même s’il aborde des sujets difficiles, même s’il parle de l’Afrique (qui apparemment n’intéresse pas grand monde…) le livre de Marc Forget mérite un vaste public.

À la fois intense et instructif, engagé et poétique, Versicolor est traversé d’une grande et belle charge émotive. C’est le genre de roman qu’on place sur la tablette des livres à relire.

Versicolor. Marc Forget. Éditions XYZ, 244 pages.

3 commentaires:

  1. Drôle de coincidence, j'allais y plonger aujourd'hui même dans ce Versicolor. Sans trop savoir pourquoi, je repousse cette lecture depuis plusieurs semaines mais à la lecture de ce billet, mes hésitations ont disparu. Nous devons en discuter mes copines et moi lors de notre prochain club de lecture. J'attends maintenant ce moment avec encore plus d'enthousiasme! Merci Andrée

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  2. Rhéa,
    J'aimerais bien être un petit oiseau pour entendre vos discussions au club de lecture.
    Andrée

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  3. Marc F.23 h 54

    Moi aussi

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